Pour comprendre les difficultés que posent les mesures sanitaires actuelles imposées par le gouvernement français, notamment en termes de distanciation sociale, il faut se pencher sur cette hormone particulière qu’est l’ocytocine. Synthétisée dans l’hypothalamus – lui-même situé au cœur du cerveau –, l’ocytocine est connue comme étant l’hormone de l’amour, du bonheur et de l’attachement. Et pour cause : chez la femme, elle est sécrétée à très haute dose au moment de l’accouchement pour réduire la douleur due au travail, puis pendant l’allaitement, facilitant la mise en place d’un lien affectif fort entre la mère et son enfant. Plus largement, elle est l’hormone du lien social : elle apporte confiance et bien-être chaque fois que l’on partage un moment agréable avec ses amis, ses voisins, sa famille, qu’on les embrasse, qu’on les serre dans nos bras. L’ocytocine présente un troisième avantage, et pas des moindres : elle permet de rééquilibrer le système nerveux lors d’un afflux de cortisol, hormone liée au stress chronique et à la dépression.

Au début de l’humanité, le cortisol était utile dans les situations de grand danger, comme lors d’un face-à-face avec un prédateur. Associé à une poussée d’adrénaline, il permettait de décupler ses forces pour lutter ou s’échapper. Si les conditions de vie ont bien évolué depuis, notre réaction face au stress reste la même et, en cette période profondément angoissante, nos taux de cortisol atteignent des sommets. L’ocytocine serait plus que bienvenue aujourd’hui pour maintenir un équilibre nerveux et préserver notre santé globale, notamment pour les femmes, beaucoup plus dépendantes et sensibles à cette hormone que les hommes. Malheureusement, le confinement tel qu’il a été pensé par la France empêche une large part de la population de bénéficier de ce mode naturel de régulation, pourtant plus que nécessaire aujourd’hui. L’isolement contraint est particulièrement désastreux pour les célibataires ou les personnes habitant seules, soit pour dix millions de Français. À Paris, plus d’un habitant sur deux est célibataire. Le confinement, qui est nécessaire, doit être pensé différemment, d’une manière qui protège autant la santé physique que mentale. Dans notre pays, cette dernière est encore trop stigmatisée, négligée. La pandémie le confirme une fois de plus. On cherche à tout prix à protéger les corps, au détriment de l’esprit, tout aussi important.

D’autres pays ont opté pour une tactique différente, plus réaliste et bienveillante. C’est Jacinda Ardern, Première ministre de la Nouvelle-Zélande, qui a ouvert la voie avec le concept de « bulle » autorisant chaque citoyen à entretenir des relations intimes, c’est-à-dire sans gestes barrières, avec quelques membres choisis de leur famille, extérieurs à leur foyer. En réduisant leur sentiment d’isolement et leur stress, ces bulles ont sans aucun doute renforcé la résilience des ­Néo-­Zélandais et encouragé leur coopération avec le gouvernement. Face à ce combat contre la pandémie qui prend des allures de marathon, c’est de loin la réponse la plus intelligente qui ait été proposée. L’Australie a rapidement adopté la même tactique. À Melbourne, où je passe une partie de l’année, cette mesure a transformé l’expérience du confinement. Priyanka, une résidente de 29 ans vivant seule et dont la famille habite à l’étranger, raconte que ses rencontres hebdomadaires avec son intimate partner (partenaire intime) lui ont permis de « tenir sur le long terme malgré une anxiété et un stress immense. Je ne sais pas comment j’aurais géré la situation si je n’avais pas eu la possibilité de le voir régulièrement grâce à ce système de bulle », dit-elle, après plus de cent jours de confinement. Swann, une Française de 40 ans, abonde : « Le fait d’avoir une bulle m’a permis de rester saine d’esprit pendant ces trois longs mois de confinement. Je passais la semaine seule chez moi à travailler en ligne mais je savais que, le week-end, j’aurais un peu de chaleur humaine en allant légalement rendre visite à mes quatre amis qui habitent en colocation. Samedi soir là-bas, petit-déjeuner ensemble le dimanche matin : j’étais revitalisée pour une autre semaine de travail en ligne. J’aurais probablement fait une dépression sans cette soupape, et il m’aurait été impossible de continuer à travailler. » En France, où nous avons été confinés seulement deux mois, la consommation d’anxiolytiques et d’antidépresseurs s’est nettement accrue depuis le premier confinement.

Si vous vous baladez actuellement à Paris – moins d’une heure, avec votre attestation dûment remplie –, vous constaterez que les Français peinent à respecter cette nouvelle injonction à l’isolement. Les rues sont bondées. Chacun sort respirer comme s’il s’agissait de bouffées d’air particulièrement précieuses. Cette attitude est compréhensible et légitime. Ces mesures imposées par des dirigeants qui ne savent pas de quoi il retourne, puisqu’ils ne sont pas eux-mêmes confinés, sont si difficiles à vivre qu’elles ne sont pas respectées, d’autant que nous savons tous que cette nouvelle vague risque de durer plus longtemps que la première. Pour inciter les Français à respecter le confinement, pour rendre les mesures prises acceptables par tous, il est nécessaire de repenser les règles avec plus de bienveillance. La mise en place de « bulles » favoriserait son acceptabilité, permettrait de le rendre plus durable et éviterait qu’une autre crise sanitaire, d’ordre psychiatrique cette fois, succède à celle-ci. Il est urgent de réfléchir à plus long terme en repensant la santé de manière plus globale.

D’ailleurs, les conséquences de la gestion de la crise sont terrifiantes au-delà des problématiques de santé mentale. La lutte contre les hépatites, par exemple, qui tuent aujourd’hui autant que le coronavirus, en pâtit directement. Pour prévenir cette maladie, il existe un vaccin très simple et très sûr, administré dès la naissance. Une organisation internationale, la Global Vaccine Alliance (GAVI), avait accepté de financer la mise en œuvre d’une vaccination à très large échelle à partir de l’an prochain. À cause du Covid-19, cette grande campagne n’aura pas lieu et plusieurs millions d’enfants risquent d’être infectés pendant ce temps. Le Covid nous rend fous aussi parce qu’il nous pousse à ignorer les autres maladies. Dans ce sens, il est doublement dangereux.

En France, comment tenir la distance dans ce contexte d’isolement extrême ? Comment se protéger à son échelle ? Je crois qu’il faut saisir toutes les occasions de créer du lien social en favorisant l’entraide, notamment auprès des personnes les plus vulnérables. Faire du volontariat, pour chasser ce sentiment d’impuissance et retrouver l’impression d’avoir son destin en main. En tant que professeur de yoga, je constate aussi un engouement exceptionnel pour cette pratique – de la part des initiés, mais également chez de nombreux novices. Le yoga, qui permet entre autres bienfaits de ralentir sa respiration, contribue à faire descendre le taux de cortisol et comble ainsi le manque d’ocytocine. Pratiqué en groupe, par visio­conférence, plutôt que par le biais de cours enregistrés, il peut même contribuer à augmenter directement cette fameuse hormone du bonheur par le fait qu’il nous pousse à interagir. C’est ce qui nous manque le plus aujourd’hui. 

Conversation avec MANON PAULIC

 

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