Lorsque le pays s’est confiné pour la première fois, j’ai tout de suite pensé aux enfants que j’avais suivis en tant que doctorante, dans un service hospitalier. Comment allaient-ils vivre ce confinement, cette étape particulière de notre vie ? Au total, une vingtaine de familles, de Paris à Lausanne en passant par Dijon, Reims ou Charleville-Mézières, ont accepté que je m’entretienne pendant dix semaines en visioconférence de façon hebdomadaire avec leurs enfants âgés de 4 à 12 ans. Je me suis lancée sans hypothèse, laissant libre cours à la parole des enfants, inspirée par ma formation d’art-thérapeute. Très vite, l’ennui est devenu un thème saillant. D’abord matérialisé par l’absence d’école, l’ennui a été un formidable moteur de création avant de se transformer en angoisse, à mesure que le confinement avançait, et qu’on ne savait pas quand l’école reprendrait. 

Souvenez-vous, dès les premiers jours du confinement, les sites web pour parents ainsi que de nombreux médias diffusaient mille et une idées de jeux et des kits d’activités… Surtout, qu’ils ne s’ennuient pas ! L’ennui, dans notre société, est un phénomène à combattre : s’ennuyer, c’est « mal »… J’ai toujours pensé, au contraire, qu’il fallait réserver aux enfants des temps non scolaires, qu’ils ne soient pas uniquement des « écoliers » et qu’ils puissent avoir le loisir de s’ennuyer.

Il convient de préciser que les enfants que j’ai suivis étaient issus de catégories sociales plutôt aisées, avec des parents présents. Au début des entretiens individuels, j’avais décidé de donner un thème à chaque séance – par exemple, imaginer un super-héros. Plusieurs enfants ont dessiné un Super Docteur qui sauve papy et mamie ! J’ai aussi demandé à chacun des enfants ce qu’il ferait s’il était président : « J’enverrais des jouets à toutes les familles pour que les enfants ne s’ennuient pas », ont répondu beaucoup d’entre eux.

Dans l’ennui des premiers temps est survenue aussi l’envie d’apprendre. Apprendre tout ce qu’il est possible d’apprendre dans un environnement confiné : le piano, la batterie – j’ai vu des enfants prendre en mains un instrument et réaliser de grands progrès… Ou bien simplement écrire. Un enfant de CP apprenant tout juste à déchiffrer voulait absolument discuter avec moi par Messenger, en écrivant comme il le pouvait, phonétiquement. Il était fier de faire comme ses frères et sœurs.

Au bout de quelques semaines, j’ai choisi de ne plus proposer de thèmes. À ce moment-là est apparu ce qu’on peut qualifier d’ennui existentiel et angoissant. Les enfants ont exprimé la crainte de pertes permanentes : celle des grands-parents ; celle de l’école dont on ne savait quand elle reprendrait ; celle des copains et des copines. Chez les enfants, le virtuel fait long feu, il leur faut des câlins, des bisous, se battre et courir avec les copains et les copines, être dans le corps-à-corps.

Avec ce deuxième confinement, il est essentiel que le gouvernement laisse nos enfants aller à l’école. Je l’affirme, même si cela va contre ma perspective qui considère que les enfants doivent être autre chose que des écoliers. L’étude met en évidence que la routine de l’apprentissage scolaire empêche l’ennui existentiel. Si, tout de même, je devais formuler un vœu, ce serait de ne pas oublier que le premier temps du confinement a permis aux enfants que j’ai interviewés d’avoir du temps pour eux, le loisir de rêver, d’inventer des super-héros ou même de progresser dans l’apprentissage de la musique. En moins de trois mois ! 

Conversation avec Adeline Percept

 

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