À quand remontent les inégalités de salaire entre femmes et hommes ?

Elles existent depuis toujours ! Dès lors que les femmes ont occupé des emplois similaires, voire de valeur égale, à ceux des hommes, on a toujours considéré que leur travail devait être moins rémunéré, moins considéré. Il n’y a jamais eu de situation où, à poste égal, elles étaient rémunérées à l’identique.

Dès les premières lois sur le travail au début du XXe siècle, on retrouve une double grille : une pour les hommes, une pour les femmes. Pendant les guerres, un abattement sur les salaires féminins était justifié par le fait qu’elles ne pouvaient intervenir sur les machines, ce qui était du ressort des hommes. Mais, même lorsqu’il n’y avait pas de machine ou qu’elles étaient les seules à pouvoir les approvisionner, on leur appliquait cet abattement.

Il a même été affirmé que le salaire devait refléter les besoins et que, les femmes mangeant moins que les hommes… elles devaient gagner moins ! Autre argument, avancé par l’économiste du début du XIXe siècle Jean-Baptiste Say : quand bien même les femmes ne gagnent pas assez pour vivre, elles auront toujours un mari, un père ou un frère pour s’occuper d’elles. Tout notre système social repose sur le fait de moins rémunérer les femmes.

Quand la situation a-t-elle commencé à évoluer ?

Il faut attendre l’après-Seconde Guerre mondiale, 1946, pour que la fin de cet abattement sur le salaire féminin soit inscrite dans la loi (avec les arrêtés Croizat). Mais les employeurs vont contourner ces principes dans les premières conventions collectives au prétexte affiché de mieux rémunérer le travail qualifié. Renforçant ainsi la division genrée du travail, qui fait que les postes non qualifiés sont attribués aux femmes, essentiellement. À l’époque, la justification reposait encore sur l’utilisation des machines, auxquelles les femmes ne devaient pas toucher, car elles étaient considérées comme trop dangereuses pour elles. C’est à cette époque que l’expression du « quart en moins » est née : un quart de salaire en moins pour les femmes.

« Ce n’est pas parce qu’on a la même grille qu’on va avoir la même carrière »

Ce n’est qu’en 1972 qu’une loi impose un salaire égal pour un travail égal et de valeur égale, mais, dans les faits, les choses n’évoluent qu’à partir de la loi Roudy de 1983, la première grande loi sur l’égalité professionnelle. Les entreprises doivent alors favoriser la mixité et l’égalité salariale. Le texte n’aura toutefois que peu de retentissement. Il faudra attendre 1991 pour que l’on introduise une obligation de négocier l’égalité dans les entreprises, puis les années 2010 pour voir des sanctions réelles (mais encore peu fréquentes) pour non-application de cette loi. Ce qu’Yvette Roudy souhaitait voir mis en œuvre de manière volontaire est devenu obligatoire : l’égalité de rémunération et la non-discrimination.

Où en est-on des écarts de salaire ?

On vient de parler de la loi, mais il y a la pratique. Et les écarts de salaire se sont perpétués, quoique plus à poste strictement égal. Mais, progressivement, hommes et femmes ne vont pratiquement plus occuper les mêmes emplois. Seuls 18 % environ des emplois sont mixtes ! Quand on parle des inégalités de salaire, il faut prendre en compte cette absence de mixité. Le principe d’un salaire égal pour un travail égal est insuffisant.

Pourtant, la loi prévoit non seulement l’égalité salariale à poste égal, mais aussi à poste de valeur égale. Cette notion a été rappelée de nombreuses fois même si elle n’est toujours pas appliquée. Pourquoi les sages-femmes, à l’hôpital, sont-elles rémunérées 200, 400, parfois 500 euros au-dessous des ingénieurs hospitaliers ? Certes, les ingénieurs encadrent des équipes mais les sages-femmes ont la responsabilité de vies humaines : deux à chaque naissance, parfois dix fois par jour ! Est-ce qu’on réalise ce que ça représente ?

L’égalité salariale s’arrache de haute lutte, comme le montre le cas de ces assistantes de direction trilingues de niveau BTS recrutées dans l’industrie qui ont réussi à être positionnées dans la grille salariale au même niveau que les techniciens titulaires d’un BTS électrotechnique. Elles ont démontré que leur emploi était certes totalement différent mais qu’en termes de responsabilités, de technicité, de conditions de travail et de diplôme, il y avait équivalence.

« En tenant compte des temps partiels, on est sur un écart de salaire de l’ordre de 27 à 29 % »

Mais pour une partie des emplois occupés par les femmes dans le tertiaire, ceux qui concernent la petite enfance, la santé, les personnes âgées dépendantes, on a imposé l’idée que ces emplois étaient un prolongement naturel de ce qu’elles pouvaient faire chez elles autrefois, sans formation. En niant les techniques, le savoir-faire, les responsabilités ! Comme si ces termes ne s’appliquaient qu’à des emplois à prédominance masculine, bien visibles, et qui s’attaqueraient à la matière et à la production matérielle. Les professions comme aides à domicile, aides-soignantes, auxiliaires de puériculture, éducatrices de jeunes enfants, assistantes maternelles, etc. sont toutes très mal rémunérées, avec un diplôme très peu reconnu, y compris lorsqu’il est délivré par l’État, alors même que leurs responsabilités à l’égard des personnes dont elles s’occupent sont énormes.

D’hier à aujourd’hui, on constate une continuité dans les inégalités. Avec un autre facteur qui pèse : le temps de travail. La plupart des études sur les salaires raisonnent en équivalent temps plein. Ce n’est pas normal quand on voit que le temps partiel en France n’est pas uniquement un choix des salariés, il est très souvent subi, et dans la majorité des cas par les femmes. Cela doit être intégré à la mesure des inégalités. On fait face à une sorte de tolérance sociale sur le fait que la majorité des salariés pauvres dans notre société sont des femmes. On considère que c’est un salaire d’appoint, alors que, dans les faits, les femmes de ménage, hôtesses de caisse ou aides à domicile, pour la majorité d’entre elles, gagnent le salaire principal du foyer. Sans oublier que ces salariées payées une misère ont été considérées comme essentielles à la nation pendant la crise du Covid.

Les inégalités salariales s’expliquent-elles aussi par des trajectoires différentes ?

Effectivement. Ce n’est pas parce qu’on a la même grille qu’on va avoir la même carrière. On démarre certes de la même façon : les infirmiers et infirmières, les enseignants et enseignantes, etc. Pourtant les écarts existent, même dans la fonction publique. Dans le déroulement de carrière – en dehors de l’ancienneté automatique –, au niveau de tout ce qui relève du poids des structures hiérarchiques et du choix des encadrants s’accumulent progressivement des retards nettement plus importants chez les femmes que chez les hommes. Dans le monde ouvrier, mais aussi et plus encore chez les cadres sup. Ce phénomène de décrochage se repère à chaque grossesse. La loi prévoit pourtant depuis près de vingt ans qu’en cas de congé maternité, on doit profiter du même avancement que ses collègues. Il n’en reste pas moins vrai que dans certains établissements de la fonction publique, par exemple, si une salariée est en congé maternité au moment de la notation, elle n’obtiendra pas de note cette année-là et donc pas de progression. On enregistre énormément de contentieux sur ces problématiques.

Et au-delà de cette question, on note que, pour les promotions internes, le service des ressources humaines ou les managers auront tendance à retenir un homme, parce qu’ils vont penser qu’une femme jeune sera susceptible d’avoir des enfants, puis, plus tard, de devoir prendre soin de ses parents âgés. Quand on est une femme, on fait toujours face au soupçon de ne pas être disponible, de ne pas être loyale à l’entreprise. C’est l’un des biais qui explique les écarts de salaire.

Dans les enquêtes sur les rémunérations, on ne fait généralement qu’une photo à l’instant t des écarts, alors qu’il faudrait aborder le sujet à la manière d’un film, pour voir l’évolution, et même d’un film en 3D, pour comparer des emplois dans des espaces différents, mais à valeur égale. Or, si on constate quelques progrès ces dernières années, les données ne bougent pas. En tenant compte des temps partiels, on est sur un écart de salaire, tout confondu, de l’ordre de 27 à 29 %. 

 

Propos recueillis par O.R.

 

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