L’inflation était sortie de notre univers depuis une trentaine d’années, elle revient avec fracas. Le risque d’un emballement de la boucle salaires-prix n’est pas négligeable. Pour mieux comprendre l’importance de la menace, il faut rappeler que les pays développés ont donné aux banques centrales le mandat de lutter contre l’inflation. Même aux États-Unis où la Fed dispose d’un double mandat, l’action concernant l’inflation l’emporte sur celle concernant l’emploi. Il faut rappeler qu’on a payé très cher les dérapages inflationnistes des années 1970. Et c’est un gouvernement de gauche dirigé par Pierre Mauroy qui a mis fin en 1983 à l’indexation des salaires sur les prix, sachant que seule une baisse du pouvoir d’achat était susceptible d’enrayer l’inflation, principalement amorcée par l’augmentation des prix du pétrole. C’est ce qu’on a alors appelé la désinflation compétitive.

L’inflation est coûteuse en termes de croissance, d’emplois et d’investissements

Pourquoi faut-il craindre l’emballement salaires-prix ? L’inflation est coûteuse en termes de croissance, d’emplois et d’investissements. Quand l’augmentation des salaires est supérieure à celle de la productivité, cela se répercute automatiquement sur les coûts et la situation financière des entreprises, sur la compétitivité et, en fin de compte, sur les prix. Quant à l’idée que les entreprises pourraient rogner sur leurs profits, sa mise en œuvre entraînerait automatiquement une baisse de l’investissement et, à terme, de l’emploi. Qui donc voudrait investir si la rentabilité n’est pas au rendez-vous ? C’est ce que Pierre Mauroy et Jacques Delors avaient compris en bloquant les salaires afin d’éviter une panne de l’investissement et de l’emploi.

Pour l’instant, grâce au bouclier tarifaire, nous bénéficions de l’inflation la plus basse des 19 pays de la zone euro. Ces mesures servent à étaler dans le temps l’impact du choc inflationniste, mais elles vont nécessairement s’arrêter. Nous risquerons alors de faire face à une inflation plus forte qu’ailleurs. Sur 39 pays de l’OCDE, 28 disposent d’un salaire minimum national, mais quatre seulement (France, Belgique, Luxembourg et Slovénie) ont adopté une indexation automatique du Smic.

Heureusement, les banques centrales agissent avec doigté pour lutter contre l’inflation. La remontée des taux d’intérêt s’effectue avec prudence. Elle est susceptible d’entraîner un ralentissement de l’activité, mais nous n’en sommes pas encore à la récession. Nous partons de si bas concernant ces taux que nous avons de la marge.

Contrairement à une opinion très répandue, les inégalités salariales n’augmentent pas depuis quatre ou cinq décennies en France. Dans la crise actuelle, elles diminuent même, puisque le Smic a été revalorisé de 8 % sur les douze derniers mois quand la hausse du salaire moyen n’a été que de 3 %. Ces coups de pouce en faveur du salaire minimum visent à compenser le poids plus grand de la facture énergétique sur les plus bas revenus. Mais, quoi qu’il arrive, il faudra bien que quelqu’un paye ce renchérissement des prix de l’énergie et des productions agricoles. Dans un contexte de gains de productivité nuls, il n’y a pas d’autre solution qu’une baisse du pouvoir d’achat. Sauf à vouloir creuser la dette publique, ce qui représenterait un cadeau empoisonné pour nos enfants. Il convient de se souvenir que, sur 1983 et 1984, la baisse du pouvoir d’achat avait été de 2,7 %. Nous n’en sommes pas là ! En 2021, le pouvoir d’achat par unité de consommation a encore augmenté de 1,9 %. Il n’a baissé qu’une seule année durant le quinquennat Macron : en 2020, de 0,3 % alors que le PIB avait baissé de 7,8 % à la suite de la pandémie. C’est une performance qui a été coûteuse pour la dette publique. 

Conversation avec P.Tr.

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !