Les années 1970 seraient-elles de retour ? Un survol distrait de l’actualité pourrait le laisser penser : une inflation qui grimpe mois après mois ; un Smic qui augmente trois fois en 2022 ; un point d’indice des fonctionnaires revalorisé pour la première fois depuis douze ans… Une nouvelle période s’ouvre-t-elle, après des décennies de dégradation des revenus du travail ? La conjugaison de hauts niveaux d’emploi et de pénuries de main-d’œuvre va-t-elle redonner du « grain à moudre » aux syndicats, selon la formule chère à l’ancien patron de Force ouvrière, André Bergeron ? Rien n’est moins sûr. Même si les revalorisations salariales ne sont pas négligeables, elles restent inférieures à la hausse des prix, qui devrait encore s’accélérer l’an prochain : + 15 % d’augmentation annoncée du gaz et de l’électricité, dix fois plus si l’État n’avait pas prolongé son bouclier tarifaire.

Nul ne saurait dire jusqu’où iront ces désordres financiers qui divisent les économistes. Gilbert Cette, président du Groupe d’experts sur le Smic, craint un emballement de la boucle salaires-prix comparable à la surchauffe des années 1974-1983. L’économiste Philippe Askenazy estime à l’inverse que l’émergence d’une boucle prix-profits explique l’inflation actuelle. Dans le grand entretien qu’il nous a accordé, il décrit la pression exercée par le sous-emploi sur le niveau des rémunérations dans l’ensemble des pays avancés. Selon lui, la masse des contrats courts a remplacé celle des chômeurs pour former ce que Karl Marx nommait une « armée de réserve au plus bas coût possible ». Aux premiers rangs, on y trouve les femmes et les travailleurs non salariés.

L’idée est désormais répandue que le travail ne paye plus

La chercheuse Rachel Silvera nous explique pourquoi les inégalités de genre restent massives alors que les femmes sont globalement plus diplômées que les hommes. La sociologue Sarah Abdelnour analyse le mirage de l’autoentrepreneuriat (des revenus très faibles, des droits sociaux au rabais et les contraintes d’un salariat déguisé). Compte tenu du haut niveau de protection sociale en France, il serait excessif d’invoquer un retour des pratiques du XIXe siècle (revenus à la tâche ou à la pièce), mais l’idée est désormais répandue que le travail ne paye plus, en tout cas pas assez pour acheter un logement décent en centre-ville, même pour un couple de salariés. Sauf à avoir hérité. Sauf à appartenir aux 3,5 % de Français gagnant 6 000 euros mensuels ou beaucoup plus.

Certains avaient prédit la mort de l’emploi salarié et son remplacement par une société d’indépendants. En réalité, il n’a jamais été aussi répandu, mais ses conditions d’exercice se sont dégradées, surtout dans les débuts et les fins de carrières. C’est tout l’enjeu des débats à venir sur les réformes de l’assurance chômage et des retraites. 

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