La relation entre les Américains et les Chinois a mal commencé. Lorsque Lincoln donne son feu vert à la construction d’une première ligne ferroviaire joignant l’est des États-Unis à la côte Ouest, la compagnie californienne chargée de construire sa moitié occidentale fait massivement appel, en 1863, à une main-d’œuvre chinoise. Sur le chantier, les conditions de travail sont effroyables. Des milliers d’ouvriers meurent. Mais le pire est à venir. Une fois la voie ferrée mise en service (en 1869), la Californie est sujette à une terrible crise économique. Une vague raciste s’abat alors sur la communauté chinoise de 80 000 âmes. Le « péril jaune », comme on l’appellera, s’enracine. Objet de mille fantasmes, les Chinois, jugés « inassimilables », sont accusés de diffuser les pires maladies. Entre 1870 et 1910, on comptera une centaine de véritables pogroms sur la côte ouest américaine, avec assassinats, incendies et saccages de quartiers commis par des foules déchaînées. En 1882, le Congrès votera la première loi interdisant l’accès aux États-Unis à une population spécifique : les Chinois.

Un siècle et demi plus tard, on compte 3,8 millions de Sino-Américains. Et plus d’un million de Chinois de Chine sont passés par les universités américaines depuis vingt ans, dont un tiers est resté vivre aux États-Unis. Mieux : jusqu’à peu, les Chinois y étaient perçus comme « l’immigration désirée », celle qui adhère le plus facilement au mode de vie américain. Or, voici que l’idée que les Chinois représentent une menace existentielle connaît un renouveau de ferveur outre-Atlantique. Jamais, depuis la fin du communisme, l’expression de « guerre froide » n’a été autant utilisée aux États-Unis. Notre numéro, cette semaine, montre d’abord que la relation sino-américaine est à nouveau en train de basculer. Et le raidissement chinois face à Hong Kong en est probablement un signe annonciateur majeur.

C’est entendu, Donald Trump, le président américain, et son homologue chinois, Xi Jinping, sont deux mâles dominants. « Je suis un nationaliste. Le nationalisme n’est pas un gros mot », déclarait Donald Trump en mai 2017. Quant à son adversaire chinois et à son régime, leur tendance à flatter les propensions nationalistes de leur population dès qu’ils se retrouvent en difficulté n’est plus à démontrer. Ah oui, ce sont aussi, à présent, les deux premières puissances mondiales. L’une détient la puissance financière, technologique et militaire – et se sent à des degrés divers en déclin. La seconde possède la puissance démographique et industrielle, et vit dans le sentiment ancré que, désormais, le pendule de l’Histoire penche de son côté. Les ingrédients sont en place pour un affrontement majeur.  

 

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