« Le siècle de l’Amérique a-t-il pris fin ? » se demandait en 2015 Joseph Nye dans un livre auquel cette question sert de titre. Sa réponse était clairement non. C’était, il est vrai, il y a cinq ans ; Barack Obama terminait son deuxième mandat. L’auteur de ces lignes n’envisageait pas que son successeur puisse être un certain Donald Trump. En 2020, l’Amérique reste d’ailleurs la première puissance militaire et économique mondiale, même si, dans ces deux domaines, la Chine se rapproche. Les meilleures universités américaines sont toujours en tête du classement mondial. Les GAFAM consolident leur emprise sur la nouvelle économie. Et à travers le succès de ses séries, souvent produites par Netflix, l’Amérique continue de contrôler l’imaginaire et les émotions du monde.

« Il serait prématuré et dangereux de nous enterrer trop tôt. Rappelez-vous l’année 1968, me disait récemment un ancien diplomate américain de haut rang, de sensibilité républicaine. L’Amérique après une série d’assassinats politiques, consciente qu’elle ne pouvait l’emporter au Vietnam, semblait au fond du trou. Trois ans plus tard, elle avait déjà rebondi. Kissinger était à Pékin. Vingt ans plus tard, l’URSS n’existait plus ! »

En même temps, en ce printemps 2020, « l’Amérique est numéro 1 en termes de décès, numéro 1 en termes d’infections par le Covid-19 et elle apparaît comme un modèle d’incompétence globale. Le dommage subi par l’influence et la réputation de l’Amérique dans le monde sera difficile à réparer ». Cité par le Financial Times, William Burns – autre ancien diplomate de haut rang, de sensibilité démocrate – ne mâche pas ses mots.

Qui croire ? Les optimistes, en dépit de l’impact négatif de la crise du coronavirus, ou les cassandres ? Pour les optimistes, le déclin de l’Amérique n’est que celui des politiques : le premier d’entre eux imposant son narcissisme, son incompétence, son instinct d’autodestruction à partir de la Maison-Blanche. L’Amérique vaut bien mieux et, fondamentalement, va beaucoup mieux que ce que la présidence de Donald Trump ne le laisserait supposer. Le 3 novembre, la société américaine surmontera ses divisions et mettra un terme aux années Trump. La rationalité, la décence, l’espoir succéderont à l’égoïsme, au népotisme et à l’exploitation systématique de la peur, faisant la démonstration que l’Amérique est infiniment plus résiliente qu’on ne le dit et peut survivre à tout, même après quatre années de Donald Trump.

J’aimerais croire sans réserve à cette thèse sympathique et optimiste. Mais tel n’est pas le cas. L’arrivée d’un homme « décent » à la Maison-Blanche rétablira sans doute une partie du soft power de l’Amérique, mais quid de son hard power ? La défaite de Trump, désormais envisageable, serait un coup sévère, mais pas nécessairement fatal, pour les populismes du monde entier.

De fait, Donald Trump n’est pas la cause du déclin de l’Amérique et de son modèle démocratique. Il en est le symptôme, même si sa gestion incohérente des États-Unis a conforté l’ambition chinoise de retrouver – trois siècles après l’avoir perdue – la position de première puissance mondiale. De l’autre côté, les contradictions chinoises apparaissent plus clairement encore à l’heure du coronavirus : comment concilier capitalisme et communisme quand la croissance n’est plus au rendez-vous ?

Dans la nouvelle guerre froide entre la Chine et les États-Unis, la force principale de chaque camp est la faiblesse de l’autre. Le géopolitologue Pierre Hassner (1933-2018) aurait parlé de « décadence compétitive » entre Washington et Pékin. 

 

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