Masqué, tout seul, chez moi, je me demande si l’État fait ce qu’il faut. Je ne suis spécialiste de rien, si ce n’est de ma vie. Qu’est-ce que les politiques connaissent de ma vie ? J’ai des problèmes de mémoire : je confonds les confinements entre eux. Chaque promesse à la télévision devient caduque à la déclaration de guerre suivante. Les chiffres perdent de leur sens, les singularités sont réduites à des statistiques. Le taux d’occupation des lits est supérieur à 100 % ; le vaccin divise par douze les possibilités de transmission, puis par quatre, puis de 40 %. La sidération accompagne chaque promesse non tenue, puis je m’habitue. Un peu comme quand la foule vociférait contre l’Eurasie, puis, les alliances modifiées, un instant plus tard, contre le nouvel ennemi : l’Asie orientale – bonjour Orwell… Les images se mêlent ; l’anecdotique à l’irréparable. Le matin, un enfant titube dans la rue sous un large cartable, étouffant sous son masque, les lunettes pleines de buée. Des vieillards meurent isolés dans les hôpitaux et les Ehpad. Je dois faire un test PCR : j’attends une demi-heure dans la salle surchauffée d’une clinique, avec cinq patients présentant des symptômes du Covid. Il y a quatre infirmières : l’une fait les tests, les trois autres gèrent l’administratif. La Fédération hospitalière de France estime à soixante millions d’euros par mois le coût du recrutement de vigiles à l’entrée des hôpitaux.

De telles scènes ne peuvent vaincre médiatiquement l’horreur des morts par suffocation liées au Covid. Mais penser à l’être en bonne santé peut être aussi indispensable à l’avenir d’une société que de se préoccuper de ses malades. Que mon fils entre l’année prochaine au CP avec un masque m’inspire de la consternation. Qu’arrivera-t-il à cette génération d’élèves du primaire aux interactions sociales altérées ? Comment une population affaiblie par l’isolement, le stress, la vie masquée gérera-t-elle les prochaines épidémies ? Et quid des autres maladies, quand l’angoisse d’aller à l’hôpital a réduit les dépistages du cancer ou du sida ? Que penser des centaines de millions de pauvres supplémentaires dans le monde, autant dues à la pandémie qu’à l’inefficace fermeture des frontières ? La Fontaine le disait déjà : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami. »  

Je suis né d’insémination artificielle ; je suis enfant de la science ; je suis vacciné – deux doses de Pfizer. Les vaccins sont encore en expérimentation, il n’est pas possible d’estimer avec certitude leurs éventuels effets secondaires. Dès lors, l’État avait la possibilité d’inciter ses citoyens, notamment les plus vulnérables, à choisir librement de se faire vacciner, ou d’assumer ce risque en rendant la vaccination obligatoire. Par calcul électoral, par peur de futures poursuites juridiques, il a choisi une troisième voie : celle du chantage, transférant la responsabilité de son choix au corps social. Brandissant les valeurs d’altruisme et de générosité, il a activé les réactions les plus grégaires, angoisse et recherche d’un bouc émissaire. La fin justifie les moyens, dit-on. « Dans une société de grande civilisation, il est essentiel pour la cruauté, pour la haine et la domination si elles veulent se maintenir, de se camoufler, retrouvant les vertus du mimétisme. Le camouflage en leur contraire sera le plus courant », écrivait Henri Michaux. 

La crise écologique est devant nous ; il est probable qu’elle s’accompagnera de nouvelles maladies, encore plus dangereuses que le Covid. Comment vivre en démocratie, menacés par les épidémies et les catastrophes naturelles ? La question mérite mieux que des murs administratifs bâtis à la hâte. Ainsi guide-t-on le peuple irresponsable, explique le pouvoir, en oubliant ce qu’est un citoyen. Ceux qui défendent le retour du masque à l’extérieur trop souvent oublient d’ouvrir leurs fenêtres. 

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