La promesse démocratique trahie
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« Je pense, donc je suis… contre. » Les Français sont certes cartésiens, mais ils sont surtout contestataires. C’est parce qu’ils attendent tout de l’État qui a façonné leur pays. Cela les voue à la déception, à la protestation, voire à la rébellion. Cet esprit français, qui toujours nie, s’épanouit à l’âge de la démocratie, qui porte en elle une promesse infinie : la liberté, l’égalité, la fraternité, voire le bonheur… et surtout la maîtrise par le peuple de son destin. Convenons-en : de telles promesses ne sont guère tenables ; car elles supposeraient la toute-puissance, qui est un rêve d’enfant ou d’adolescent. Or, si elle veut être adulte, la démocratie doit accepter la frustration. Non ! nous ne serons jamais complètement libres, égaux, fraternels, ni même heureux. C’est là un horizon de sens qui, certes, nous guide, mais est inaccessible. La France qui dit non, serait-elle restée au stade infantile ou à l’âge ingrat, exigeant le « tout, tout de suite » ?
Le penser serait une erreur, qui reviendrait à confondre une promesse horizon et une promesse trahie. La France en colère ne prend pas les messies pour des lanternes, mais elle exprime le sentiment qu’on a tourné le dos à l’horizon. Car, à qui dit-elle non ?
Elle dit non aux responsables politiques, juridiques et économiques, très efficaces pour démolir, mais impuissants à reconstruire. Ils inventent l’Europe, mais oublient ses frontières ; ils ferment les usines, mais occultent les vies dévastées ; ils ouvrent des centres commerciaux, et tuent les centres-villes… Et quand, par miracle, ils construisent, ce sont des murailles d’impossibilités, des règles tatillonnes, des lois incohérentes, qui entravent l’action, défient le bon sens et découragent l’initiative. La France qui dit non, le dit d’abord aux aveux d’impuissance des puissants : « C’est prodigieux tout ce que ne peuvent pas ceux qui peuvent tout », disait Talleyrand.
Elle dit non aussi aux minorités actives qui ont pris le pouvoir et s’exonèrent sans vergogne des règles collectives pour bloquer et déconstruire au nom d’une vision très particulière de l’intérêt général. Sauver la planète, lutter contre le racisme « systémique », achever un patriarcat moribond, accueillir les migrants : ces causes sont justes ! Pourquoi faudrait-il en débattre alors qu’il est urgent d’agir ? Cette pression intolérante du « Bien » exaspère la France en colère, mais lui montre l’exemple. Inutile d’aller voter ! Il faut protester, hurler et détruire, conditions pour être vu et entendu !
Elle dit non, enfin, aux élites intellectuelles et médiatiques qui profitent de leur droit de tirage dans l’espace public pour déverser, non pas les instruments de l’intelligence du monde – ce qui est leur mission –, mais des idéologies aussi antagonistes que péremptoires : « Guerre des races, des sexes, des générations, des classes, des territoires, des civilisations. Choisissez votre guerre civile, messieurs-dames, y a l’embarras du choix ! Et on peut même en avoir plusieurs pour le prix d’une ! »
Il y a donc de très bonnes raisons de dire non, quand l’idéal démocratique semble marcher à l’envers ou contre lui-même : l’impuissance collective au lieu de la maîtrise du destin ; la tyrannie des minorités au lieu du respect de la majorité ; le mépris de l’élection et de la délibération.
Pourtant cette saine colère démocratique risque fort d’aggraver la crise au lieu de la résoudre. Car si le non donne l’impression d’agir, il reste lui aussi un aveu d’impuissance. Alors que faire ? Entendre cette colère ; la partager peut-être, mais ne jamais lui donner le dernier mot.
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