Retrouver le plaisir d’être ensemble autour d’un verre. C’est l’idée astucieuse des « cafés mémoire » qui permettent aux familles de rompre leur solitude et de dialoguer. « Celles qui sont touchées par la maladie d’Alzheimer sont souvent frappées du sceau de la honte dans les petits villages de la vallée, déplore Marie-Lou Allavena, bénévole de France Alzheimer, et le sujet reste tabou. » Les cafés mémoire itinérants empruntent les routes des vallées de la Roya et de la Bévéra une fois par mois depuis 2017. La bénévole, ancienne aide-soignante élue de Breil, et Mostafa Zoubir, psychologue à l’hôpital de la commune, animent les rencontres avec les malades et leurs proches. Le cadre se veut informel et le ton convivial au sein de ces villages des Alpes-Maritimes, à une bonne trentaine de kilomètres au nord de Menton. Le but est d’encourager chacun à prendre la parole et à échanger avec ses voisins.

« Dans la vallée et dans les milieux ruraux en général, il faut lutter contre l’étiquette de démence sénile collée à la maladie d’Alzheimer », constate Liliane Imbert, présidente de France Alzheimer Alpes-Maritimes. L’association a sollicité deux personnes capables d’interagir avec les habitants de la vallée. Mostafa Zoubir et Marie-Lou Allavena y vivent et possèdent une longue expérience médicale de la maladie. Dans une première vie, le psychologue a été éducateur spécialisé. Pour lui, ces cafés coïncident parfaitement avec son engagement à renforcer le lien social « jusqu’à l’intérieur des familles ». Son choix était fait lorsque la direction de l’hôpital a proposé de le mettre à la disposition du projet. Marie-Lou Allavena débute, elle, son quatrième mandat municipal. Elle connaît bien les habitants et les élus. Par son intermédiaire, des lieux comme une médiathèque, un foyer rural ou toute autre salle communale sont mis à disposition de l’association pour accueillir les cafés.

Liliane Imbert se félicite du soutien apporté par les municipalités. « Même si des bâtiments officiels peuvent malheureusement intimider certaines familles, relève Mostafa Zoubir. Le principal défi est de les aider à se sentir en confiance. » Le lieu est essentiel dans le projet thérapeutique que portent ces cafés mémoire itinérants. Le binôme formé par le psychologue et la bénévole recherche un espace convivial qui permette de démystifier le corps médical et la maladie aux yeux des malades et des aidants. « Jouer au psy, habillé de sa blouse blanche et drapé de son savoir, serait incorrect et peu efficace, estime Mostafa Zoubir. Je suis convaincu que c’est dans la proximité, muni de mon "non-savoir" et de ma curiosité, qu’il devient possible d’aider les malades et leurs proches. » L’essentiel est de montrer qu’ils sont là, accessibles et disponibles.

« Ces familles sont confrontées à des problèmes propres au monde rural, diagnostique Liliane Imbert. Elles souffrent d’un isolement sans commune mesure et, ici plus qu’ailleurs, la maladie fait peur. » Cette peur se révèle un levier pour sensibiliser aux problèmes liés à la maladie. « Beaucoup viennent sans être directement concernés. Ils craignent d’être malades et de devenir un poids pour leurs proches ou de ne pas être capables de réagir correctement en tant qu’aidants », observe Marie-Lou Allavena.

Depuis 2017, les cafés itinérants rencontrent un succès grandissant. Un rendez-vous annuel commun à tous les villages de la vallée a été créé. Les familles se retrouvent à Casterino, un lieu-dit de la commune de Tende, pour un repas en musique au restaurant Le Chamois d’or. « Souvent, clients et patrons écoutent et se mêlent au groupe », observe la bénévole, et les liens spécifiques qui se tissent lors de ces échanges perdurent dans la vie des villages.

Le psychologue Mostafa Zoubir a été surpris de constater à quel point les rencontres ont généré d’elles-mêmes quelque chose de neuf. Malades et aidants le sollicitent pour entrer en contact avec les autres branches de la filière gériatrique. Plusieurs ont naturellement dépassé leur timidité à l’égard des structures de soin et ont pu être pris en charge. Le seul manque selon le psychologue ? Que les travailleurs sociaux ne puissent totalement assurer la relève en accompagnant les familles dans leur quotidien. 

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