Alzheimer fait peur. C’est la deuxième maladie la plus redoutée des Français, derrière le cancer. Si 1,2 million de personnes sont concernées, cette pathologie reste encore largement méconnue et les préjugés et les stéréotypes s’ajoutent aux difficultés progressives de la maladie. Face à ces opinions et attitudes simplistes, les personnes malades se replient sur elles-mêmes. 


1er préjugé
« Cela ne concerne que les personnes âgées »

C’est inexact. La France dénombre environ 35 000 personnes malades de moins de 65 ans, sans compter celles qui ne sont pas encore diagnostiquées, soit par honte, soit par méconnaissance de la maladie. Une telle pathologie bouleverse leur quotidien de parent et de professionnel. Or le diagnostic permet de réagir et de faire face.

Thierry, âgé de 53 ans, de la région de Metz, marié et père d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, a appris qu’il était malade il y a deux ans : « J’ai commencé à avoir des troubles classiques de la mémoire. Je n’étais pas bien. Ça remonte à 2015. Peut-être un peu avant même. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Cela s’est ensuite amplifié. Je me doutais à un moment que c’était la maladie d’Alzheimer. J’ai été libéré le jour où le neurologue m’a dit que c’était bien cette maladie. Quand un nom a pu être mis sur ce que j’avais. »

 

2e préjugé
« La vie, avec ses émotions et ses plaisirs, s’arrête »

En réalité, les fonctions cognitives s’altèrent mais non les sentiments et les émotions. Aujourd’hui, de nombreux témoignages de personnes malades ou de proches attestent qu’il existe toujours, malgré les épreuves successives, de la place pour la vie, l’amour, le rire et le partage. La personne malade, en perdant progressivement des pans de sa mémoire, gagne en perceptions affectives et émotionnelles. De nouveaux espaces de rencontre se créent, un nouveau territoire de l’intime se dessine.

« Mon mari me disait "Je t’aime" tous les jours, témoigne Françoise, originaire des Hauts-de-Seine. Avec la maladie d’Alzheimer, ça s’est arrêté. J’en étais très affectée. Un jour, j’étais dans la cuisine et une chanson d’amour passait à la radio. Mon mari s’est alors levé d’un bond du fauteuil dans le salon où il se trouvait, s’est dirigé vers moi et m’a saisi la main. J’ai pensé au début que c’était un hasard. J’ai voulu en avoir le coeur net, j’ai réitéré l’expérience et elle s’est soldée par ce même élan de tendresse. Quand la maladie abîme les mots, elle n’abîme pas les sentiments. J’ai retrouvé par le geste ce qui me liait à mon mari, la pureté du sentiment. » 

L’accompagnement, qu’il soit professionnel ou familial, consiste à aller chercher ce qu’il y a de bien vivant dans la personne malade, trouver la médiation qui éveille ses sens, grâce notamment à des thérapies non médicamenteuses. 

 

3e préjugé
« On ne peut rien faire »

Même en l’absence de traitement, il est possible de freiner le développement de la maladie. Dès l’annonce du diagnostic, un nouveau chemin commence pour retarder les effets de la maladie et conserver le plus longtemps possible une bonne qualité de vie. En l’absence de traitement curatif, les thérapies non médicamenteuses permettent de retarder l’apparition et la progression de la maladie. Chant, danse, peinture… les ateliers à médiation artistique sollicitent les différentes mémoires et stimulent la créativité. Multisensoriel, contemplatif, source de bien-être et vecteur de lien social, le jardin thérapeutique favorise l’autonomie et l’estime de soi.

Autre activité, l’équithérapie dans laquelle le cheval sert de médiateur : « Ses bienfaits sont multiples, et ils ne sont pas seulement physiques », explique Carole Yvon-Galloux, chargée de mission à la Fédération française d’équitation (FFT) qui a noué un partenariat avec l’association France Alzheimer et maladies apparentées pour développer des activités. « Les personnes malades, poursuit-elle, vivent surtout dans l’instant présent. Le cheval ne se projette pas non plus dans l’avenir, il ne juge pas. J’ai vécu de très beaux moments chargés d’émotion avec les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer. Elles arrivent parfois fermées et, sur place, elles s’ouvrent. Elles étaient muettes, et voilà qu’elles se mettent à parler aux chevaux. Elles restaient assises dans leur fauteuil et voilà qu’elles se mettent à marcher. »

 

4e préjugé
« Les malades perdent toute autonomie »

Non. La personne malade reste actrice de sa vie durant les premières années. La maladie d’Alzheimer est évolutive. Aux stades légers et modérés, de nombreux actes de la vie quotidienne sont encore réalisables. Bon nombre de personnes malades vivent d’ailleurs seules et sont autonomes. C’est le cas de Jacques, de Colombes (Hauts-de-Seine) : « Ce n’est pas effrayant de vivre seul avec la maladie. Alors, oui, c’est plus difficile, mais je me débrouille très bien. Je me lève, je prends ma douche, je fais mon petit-déjeuner. J’ai acheté des livres conçus par des orthophonistes et chaque matin, je prends une heure pour faire des exercices, comme si j’allais à l’école. L’après-midi, je vais sur Internet, je fais des sudokus, des mots croisés… J’ai aussi beaucoup d’activités en dehors de mon domicile. Je vais à des ateliers, je vais au musée une fois par mois, je joue au ping-pong, j’assiste à des groupes de parole, je participe à l’émission « Bande à part » d’Alzheimer la radio avec d’autres personnes malades… Je fais plein de choses et ça me fait plaisir d’être avec des gens. Des copains en somme. »

 

5e préjugé
« Cela ne nous concerne pas »

En fait, il dépend de nous de faciliter la vie des malades. Nous avons tous un rôle à jouer. Chacun peut aider les personnes malades à profiter de la vie le plus longtemps possible. Un peu de compréhension et de bienveillance, c’est d’ailleurs tout ce que demande Lysiane Victoire-Féron, 64 ans, de Rodez (Aveyron), diagnostiquée il y a douze ans : « Je mets plus de temps à réagir, à prendre des décisions, c’est vrai. La lenteur n’est plus acceptée par la société. Des personnes bienveillantes, il y en a peu. Et comme ma maladie ne se voit pas, je dois parfois me justifier – quand je suis à la caisse pour les personnes handicapées, par exemple. C’est fatigant, c’est énervant. Mais personnellement, je n’ai jamais songé à quitter l’espace public. C’est même tout le contraire. Je dis aux personnes que j’ai la maladie, que je vais prendre plus de temps à faire les choses. Je suis toujours sur la défensive, mais il ne faut pas s’enfermer à cause de quelques imbéciles. Moi, j’ai envie de vivre. Je n’ai plus de temps à perdre. Je ne veux pas regretter. Je veux vivre l’instant présent. J’ai fait de la tyrolienne, du parapente. Je fais des activités artistiques, je vais au restaurant… J’en profite un maximum. »

Ces préjugés isolent les personnes malades et les aidants. Ils les rendent invisibles. Ils peuvent transformer leur quotidien déjà compliqué en un véritable calvaire. Conscientes que l’isolement ne fera qu’accroître leurs problèmes, de plus en plus de personnes malades osent s’exprimer, à travers les médias, en particulier à travers l’écriture. Elles disent, sans détour, ce qu’elles vivent. Ce qu’elles ressentent. La parole se libère. Et elle libère. 

 

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