pour Renée Mauger

Elle décroche le téléphone importun, prend le message, oublie le message, oublie qui a appelé.
Une de leurs filles, devine son mari : oui, mais celle qui a les chiens, les enfants petits, le garçon Jed ?
Comment savoir, comment savoir quoi que ce soit quand toutes les étiquettes sont perdues, ou se mêlent,
que toutes les fleurs solitaires de la mémoire et des sens s’ouvrent et meurent désormais dans un temps morcelé ?
Parfois son visage surgit devant elle dans un miroir avec une terrifiante incongruité.
Elle sait que si elle est patiente il baissera les yeux, gravement, poliment, ainsi qu’un enfant sage,
qu’il se détournera d’elle comme gêné par les secrets de cet horrible jeu de cache-cache.
Si elle oublie, pourtant, et se retourne encore, il sera toujours là à guetter, furtif, en larmes.

 

Chair et sang, traduit par Claire Malroux
© La Différence, 1993.

L’Américain C.K. Williams fut thérapeute de groupe pour adolescents. Mais sa poésie cinématographique déplie ici la tragique vulnérabilité d’un autre âge. En anglais, le poème s’intitule « Alzheimer’s : the wife ». Il est couplé à un poème sur le mari de Renée Mauger, bousculant toutes ses certitudes pour s’adapter à cette nouvelle nécessité : veiller sur son épouse. 

 

 

 

 

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