J'ai eu plusieurs réactions face à l’annonce de ma maladie. Ma famille, très soudée, m’a tout de suite soutenue devant des comportements qu’ils n’expliquaient pas toujours. Quatre ans après mon diagnostic, j’ai demandé à France Alzheimer avec l’aide d’une amie, de la mairie et de l’abbé de la paroisse, d’organiser une réunion. Elle avait comme but de rassembler ma famille, déjà informée, mes proches et les personnes de la paroisse que je côtoyais régulièrement afin qu’ils comprennent. La psychologue de ma région et l’un des bénévoles sont venus, moi étant hospitalisée à ce moment-là. Tous se sont mobilisés pour expliquer ce comportement que personne ne comprenait et n’expliquait.

Merci à toutes ces personnes pour leur soutien, leur aide, leur mobilisation.

Je pense au fond de moi qu’il fallait quand même l’entendre de la bouche du neurologue, lorsqu’il nous a reçues dans son bureau, mes deux sœurs et moi. Avant ce rendez-vous, le sujet était tabou et deux réactions se présentaient alors à moi : ceux qui étaient dans le déni et ceux qui en parlaient ouvertement. Pour ceux qui étaient dans le déni, je savais qu’il n’y avait aucun doute à leurs yeux, mais c’était peut-être plus facile pour eux de les fermer. C’est l’amour, m’a-t-on expliqué. Ils refusaient d’en parler ou s’ils le faisaient, ils me disaient : « Ça n’est peut-être pas aussi grave que ça en a l’air. » Ou alors, pour les autres, ils passent des heures à discuter pour trouver une solution à ces problèmes. Ils essaient de les résoudre, mais n’y arrivent pas !

Le mot était caché. Il l’est encore pour certains. Ma famille a toujours été très présente et je les remercie pour cela. Je les aime beaucoup. Je leur dis très souvent, je ne veux pas perdre de temps. Ça serait pour moi du temps gâché qu’ils ne le savent pas. Ils m’apportent vraiment leur soutien. Ils ne se le disent peut-être pas comme ils le souhaiteraient. Pour moi, c’est déjà largement suffisant. On fait comme on peut, et ça n’est pas toujours comme on veut.

Et puis, il y a ceux qui choisissent de se comporter avec moi comme si je n’étais pas malade. Non pas ceux qui sont dans le déni, non pas ceux ont la force de la combattre avec moi, mais les autres… Je ne sais comment l’expliquer. Je ne sais pas dans quelle catégorie je peux les mettre. Il est difficile pour moi de l’extérieur d’interpréter cette réaction autrement que par de l’indifférence !

Chaque personne est unique, et chacun doit essayer de comprendre l’autre, de se mettre à sa place, d’essayer de comprendre que c’est une chose très difficile. Moi, j’arrive à le comprendre et à l’excuser uniquement avec mon fils. Est-ce parce qu’il est plus proche, et je me dis : lui seul peut vraiment comprendre mon quotidien, son quotidien de fils et d’aidant, ce rôle si difficile qu’il n’a pas choisi mais que la maladie lui impose. Il la vit, « la subit », il m’aide, et il est toujours aussi silencieux… Je respecte tellement plus facilement chez lui sa nature. Est-ce une façon pour lui de se protéger en gardant de la distance avec cette maladie ? Je pense que oui, et je suis heureuse qu’il puisse le faire.

Je peux imaginer que c’est traumatisant. Pour moi, c’est le mot « CHOC » qui me revient quand le médecin me l’a annoncé. Elle m’a donné de la documentation, m’a dit que ça ne serait plus elle qui me recevrait la prochaine fois et je suis rentrée chez moi… Très gentille, mais trop expéditive !

J’ai décidé de l’annoncer à mon fils deux ans après (il le savait déjà, il vivait avec moi). Grâce au diagnostic, il a pu enfin mettre un nom sur une maladie avec laquelle il cohabitait déjà un moment sans comprendre ce qui rendait sa maman si étrange. « Maman, ça craint. » Il a dû traverser ces différentes étapes seul, de son côté d’enfant et d’aidant. Je me demande (ou je me suis demandé) comment c’est, dans sa tête à lui ? Je respecterai toujours son intimité, sa discrétion et ses émotions. Merci à toi, Théo…

Je ne fais de reproche à personne. Si mes mots sont mal exprimés, ou ne sont pas les mêmes que dans ma tête ou dans mon cœur, je vous demande pardon.

Un jour, j’avais écrit pour la conférence : « Si, moi, je suis assez forte pour supporter ma maladie, je ne vous demande pas, s’il vous plaît, de me prendre en peine ni de la supporter pour moi ; mais je vous demande de comprendre qu’en choisissant de vous l’annoncer après tout ce temps, c’est que j’en avais moi aussi besoin pour l’accepter. C’est de ne pas me repousser, de ne pas faire semblant d’essayer d’agir normalement devant moi et, si c’est possible pour vous, de m’accompagner dans cette maladie. Cela m’épuisera moins de vous expliquer chaque fois mes maladresses lorsque je m’en rends compte, ou de me justifier de ce que j’ai oublié de faire et qui n’est pas convenable. »

Après avoir vu la difficulté que cela impliquait d’être dans une société qui ne connaissait pas encore la maladie d’Alzheimer chez les jeunes, j’ai voulu changer le regard des personnes, et j’ai finalement fini par me relever. 

Alzheimer précoce : mes petits carnets de vie

© Michalon éditeur, 2019

 

 

 

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