Les députés seraient à tu et à toi. Quelle leçon tirer de cette familiarité ? Et comment la comprendre ?

À l’époque de la Révolution, le tu était révolutionnaire, et signe d’égalité. Il était d’usage dans le Comité de salut public, et son exemple fut suivi. Il fut même débattu d’interdire le vouvoiement par la loi, mais le député Thuriot opposa que « parler mal le français n’était pas un crime » (voir l’article de Philippe Wolff « Le tu révolutionnaire » dans Les Annales historiques de la Révolution française, no 279, 1990).

Le vouvoiement avait été dénoncé depuis déjà longtemps. Voltaire disait que « le tu est le langage de la vérité et le vous le langage du compliment », et Montesquieu que « notre vous est un défaut des langues modernes » qui choque la nature. 

On aurait tort de croire que le tutoiement est un produit de la modernité, malgré sa proximité avec le you américain, qui confond si facilement les deux pronoms et se donne des airs singuliers. Le débat des Lumières est plus profond : le tutoiement symbolise cet état de « nature » où les hommes étaient égaux et simples ; le vouvoiement marque la distinction, les classes, l’inégalité parmi les hommes, dont Rousseau cherchait l’origine. Il est la marque dans le langage, le sceau dans la bouche, de ce que l’on veut éliminer : une société de classes où se reflètent dans les adresses les positions de chacun. 

Le tutoiement actuel serait-il un produit de cet égalitarisme, ou bien le signe d’une forme de connivence entre des députés privilégiés ? Ce dernier constat est nuancé par Marc Abélès dans son livre Un ethnologue à l’Assemblée (Odile Jacob, 2001), consacré à l’étude de cette institution. Il affirme la diversité des députés et les difficultés qu’éprouvent certains à en tutoyer d’autres qui leur inspirent du respect ou tout simplement de la distance. Qu’en sera-t-il dans la prochaine assemblée ?

Dix-sept ans après ce livre, on aimerait y renvoyer un ethnologue. Pour voir, et écouter. 

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