Partie de campagne
Dans l’ombre © JC Lattès, 2011Temps de lecture : 6 minutes
Déjeuner avec un adversaire politique est un sport que j’avais appris à aimer.
D’abord parce que j’aimais bien manger. Mais surtout parce que j’ai très vite compris que, pour réussir en politique, il fallait aimer tout ce qui semble abominable à un esprit raisonnable. Qui pouvait se réjouir de déjeuner avec un type qu’il déteste ? Qui pouvait trouver sérieux de conclure un accord avec quelqu’un qui ne les respecte jamais ? Et qui pouvait passer plus de temps à lutter contre des gens du même bord qu’avec des gens du bord opposé ? Un homme politique. Ou pire, un apparatchik.
Les règles d’un déjeuner politique ont beau être non écrites, elles n’en sont pas moins strictes. Tout compte : le lieu, la durée, la longueur des échanges, l’éventuelle conférence de presse qui suit. Tout est possible : jouer l’attaque, la défense, le contre ou le match nul. On peut vouloir informer, s’informer, désinformer ; on peut gagner ou bien perdre, mais pour durer, il faut connaître et respecter les règles.
Règle no 1 : On laisse toujours parler un élu. Un bon déjeuner politique, c’est celui où l’autre parle de son sujet favori : lui-même. Comment Il voit la situation politique. Quel conseil Il a donné à qui. Quelles difficultés Il est en train de surmonter, car il y a de vraies difficultés, mais Il est en train de les surmonter, ce qui prouve bien qu’Il est à la hauteur.
Règle no 2 : On ne déjeune pas de la même façon avec un sénateur et avec un député. Ni l’ambiance ni la durée ne sont identiques. Un député peut faire rapide, parce qu’il doit laisser penser qu’il travaille, ce qui n’est pas toujours faux, alors qu’un sénateur prendra son temps, afin de laisser croire qu’il n’a rien à faire, ce qui n’est pas toujours vrai.
Règle no 3 : Il est souvent plus utile de déjeuner avec ses adversaires politiques qu’avec les types de son propre camp. Il n’est pas rare de voir se créer entre opposants une proximité et une confiance qui, sans être tout à fait amicales, n’en sont pas moins réelles. Dans le même camp, on vit ensemble en se tapant dessus, donc, très vite, sauf à s’aimer très fort, on en vient au mieux à se supporter, mais plus généralement à se détester cordialement. Entre élus de camps opposés, on se voit finalement peu, donc on se parle vraiment. On a toujours des ennemis communs, chacun dans son propre camp. On sait que le renvoi d’ascenseur peut être très utile et en plus, on se donne à peu de frais le sentiment de n’être pas sectaire.
Règle no 4 : Quand on déjeune avec Texier, on se méfie.
Comme nous déjeunions à mon invitation, j’avais choisi le terrain. C’est important, le choix d’un restaurant dans Paris. Ceux qui aiment manger le choisissent en fonction du chef. Ceux qui aiment parler se déterminent en fonction de l’ambiance. Ceux qui aiment séduire connaissent les endroits où les jolies femmes font semblant de déjeuner. Comme je n’étais pas certain que le déjeuner débouche sur quoi que ce soit, sinon la frustration de Texier devant le refus du Patron de venir le soutenir, je m’étais dit qu’il fallait au moins que nous soyons vus ensemble. Pour le petit monde parisien, le fait que nous déjeunions en public tous les deux constituait en soi un message.
Dans la famille « déjeunons afin d’être vus ensemble par le monde politique », le restaurant Chez Françoise est idéal. À deux pas de l’Assemblée nationale, c’est une sorte de cantine pour députés sous l’aérogare des Invalides où se croisent en souriant, pleins d’une connivence légère, les parlementaires de tous les partis et les lobbyistes soucieux de les inviter.
Chez Françoise, notre déjeuner ne serait pas seulement remarqué, il serait commenté. Les Barons de notre camp comprendraient que les grandes manœuvres étaient engagées et l’état-major de Vital saurait que nous étions unis pour la bataille. Enfin c’est ce que j’espérais…
– Et comment tu vois la suite ?
La question rituelle. Celle qui doit être enseignée dans les mauvaises écoles de politique. Celle qui donne l’impression qu’on accorde de l’importance à celui à qui on la pose. Je la connais trop bien cette question. Elle est le tic de langage d’une grande majorité des parlementaires qui font semblant de solliciter votre avis sur la situation politique. Je n’étais pas surpris d’entendre Texier la poser. En revanche j’étais un peu soufflé qu’il me la pose à moi. Il me prenait pour qui ? Un débutant ?
– Bien. On va faire une belle campagne et on va gagner. Et quand on aura gagné la présidentielle, on attaquera les législatives.
Autant lui indiquer tout de suite que les deux sujets étaient liés, à cette crapule.
– Si ton Patron gagne, il devra tenir la majorité, qui est terriblement divisée, tu le sais. Il aura besoin de tout le monde.
Ben tiens.
– Il le sait et je le sais. Mais je sais aussi que beaucoup de gens auront besoin de lui pour y rester, dans la majorité. Parce que je n’ai jamais cru à l’idée que les législatives qui suivaient une présidentielle gagnée étaient une partie de plaisir. Qui peut dire à quoi ressemblera l’Assemblée après ces législatives ?
La réponse était simple : nous deux. Texier et moi étions les mieux placés pour connaître les circonscriptions solides ou fragiles, celles qui basculeraient à coup sûr, celles dans lesquelles c’est le résultat de la présidentielle qui déciderait de l’issue du scrutin, celles dans lesquelles des dissidences pourraient venir chambouler la donne. Celles aussi dans lesquelles l’électorat avait changé, venant modifier les vieilles habitudes. Celles qui ressembleraient à la circonscription de Texier.
Un petit sourire de sa part. Nous nous comprenions.
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