Un ministre n’est pas élu, il est nommé. Comme l’habit fait le moine, c’est le langage qui le fait. Alors, pourquoi tant de vanité ? Francis Ponge raille la solennité des rituels et le vide des discours. Connaissez-vous l’expression « étourdi comme un hanneton » ?... Les ministres aussi s’agitent, se cognent et tombent. 

Qu’une M, majestueuse porte cochère assise sur deux piliers à même le sol de la rue, à l’entrée de la tortueuse venelle sinistre décapitée d’abord de l’enseigne au serpent qui s’y dresse, modifie (en mugissement) le sifflement des souffles venant de gauche qui s’y engouffrent : de cette opération naît le ministre.
Ce sont, partant d’en bas, deux pieds chaussés de souliers à fortes semelles mais vernis, l’un affectant de n’y prendre garde dans les raclons d’une exposition, l’autre sur le recèlement de poussière des tapis épais d’un salon.
Un habit noir à pans longs, de coupe rectiligne, le fait ressembler à un hanneton. Au besoin, quelque applaudissement de mains frénétique accuse le rapprochement. C’est quand les phrases du discours qui s’achève, lancées comme des serpentins, enrubannent la statue récente qu’elles lient à la foule, puis flottent comme ces panaches de fumée dont le vent forme et défait plusieurs fois les nœuds avant de tout dissiper.
Et bientôt les signatures processionnent comme des cafards sur les feuillets qui jonchent en désordre une table du mobilier national. 

Lyres © Éditions Gallimard, 1961

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