Il y a cinquante jours que le Premier ministre Gabriel Attal a vu sa démission actée par le décret présidentiel ; il y a bientôt deux mois que les élections législatives lui ont été défavorables et qu’il a présenté son acte personnel de démission ; il y en a bientôt trois que son gouvernement est privé de vie du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin ; et il y a plus de six mois que le Parlement ne s’est plus réuni autour de textes importants.

La France a connu une trêve olympique et une éclipse gouvernementale ! Ce temps-là a été vécu comme un espace infini. Après cet été indien du gouvernement démissionnaire, l’opinion est demandeuse d’un jour d’après, d’une trêve olympique. Et si l’on supprimait le Premier ministre ? Et s’il n’était plus démissionnaire, mais démissionné par une révision de la Constitution ? 

La proposition n’est pas nouvelle mais mérite d’être évaluée, bien qu’il ne faille pas surestimer son apport à la politique française, si particulière. 

 

Un Premier ministre en moins ? 

La dyarchie de l’exécutif est un oxymore qui a la vie dure. L’un préside, l’autre gouverne ; l’un arbitre, l’autre détermine ; l’un fait de la prospective avec le peuple, l’autre fait de la politique avec le Parlement. En lisant la Constitution de 1958 toute vêtue des aspirations du général de Gaulle, c’est tellement bien écrit que l’on y croirait presque. 

Mais dès les premières années, la page de la dualité est tournée et laisse la place à la verticalité. Avant d’être un président, Charles de Gaulle est un général : il donne des ordres, il ne partage pas le pouvoir. « M. Debré existe-t-il ? », s’interroge dans un article publié sous ce titre le juriste et politiste Maurice Duverger, tant il ne trompe personne que le Premier ministre Michel Debré exécute, qu’il endosse, mais qu’il ne décide pas. Avec ces deux places, la Constitution en prévoit une de trop, et la Ve République a beaucoup enduré les dissensions entre les hommes qui les ont occupées (les deux femmes à la tête de Matignon ont été si fantomatiques…). Et si l’on se passait du Premier ministre ? 

Nicolas Sarkozy a mis cette alternative dans la balance du comité de réflexion lancé en 2007 sous la présidence d’Édouard Balladur avec pour mission de « rééquilibrer les institutions ». Dans sa lettre à l’intention du comité, il précise que toutes les hypothèses doivent être sur la table – dont celle de passer au régime présidentiel. 

Un moment de rappel des données de notre régime constitutionnel s’impose ici. Les constitutions modernes se distinguent suivant le type de régime politique qu’elles appliquent, notamment, autour de deux archétypes fondamentaux : le régime présidentiel et le régime parlementaire. Le régime présidentiel est fondé sur la légitimité distincte des pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que sur une absence totale de communication entre les deux. Ils ne peuvent ni se renverser ni travailler ensemble. Aucun gouvernement n’existe. Le régime parlementaire est, lui, totalement inverse. Fondé sur une légitimité unique, celle du Parlement, il place face au roi démuni, ou au président diminué, un Premier ministre puissant. Il communique, il endosse, il propose, il discute avec les deux pouvoirs. Il n’est ni le marteau ni l’enclume ; il est le messager. Le régime parlementaire est un régime primo-ministériel, il vit par cette fonction. 

Le régime parlementaire est un régime primo-ministériel, il vit par cette fonction

Contrairement à ce qui est trop souvent écrit et dit, la France de la Ve République est un régime parfaitement parlementaire avec ses logiques de collaboration, de renversement et un Premier ministre fort. La France qui se séparerait de son Premier ministre deviendrait donc un régime présidentiel. Comment cela ? Assez aisément puisqu’elle en a déjà quelques outils, du fait de sa nature hybride.

Quels seraient les avantages de ce nouveau régime ?  

Le Parlement ne pourrait certes plus renverser de Premier ministre ni subir ses lois, ses 49.3 et ses invectives perpétuelles – il semblerait s’en porter bien mieux ! 

Le président, sans Premier ministre, serait forcé de fixer sa ligne seul et de communiquer plus régulièrement avec sa base, son parti, son peuple et son pays. Ses « collaborateurs » le seraient vraiment puisqu’ils ne seraient plus ministres. Quant au dédain qu’il a actuellement pour le Parlement, il se transformerait en un dialogue de couloir feutré et opportuniste, comme au Congrès américain où ce sont les congressmen proches du président qui travaillent pour lui. Le député devient ainsi le ministre du président ! On perçoit que les apparences de la clarté ont là encore leurs turpitudes…

Mais pourquoi ne pas adopter une telle formule ? François Hollande, après la fin de son mandat, s’était également rallié à l’hypothèse, alors qu’en 2007 le Comité de réflexion avait précisé n’y trouver aucun avantage. 

Faire passer la Constitution de 1958 à l’American way of life supposerait en tout cas d’importer en même temps le génie de l’Oncle Sam avec les illustres checks and balances, ces poids et contrepoids qui ne s’inventent pas. 

 

Moins de Premier ministre  

Pour parvenir à vivre sans Premier ministre, il faudrait déjà apprendre à vivre avec un Parlement fort. Il faudrait que les commissions d’enquête soient craintes, car puissantes, que les budgets soient réellement préparés et discutés par l’ensemble des parlementaires et non par une poignée d’entre eux intéressés aux finances. Il faudrait que le Parlement soit proche du président et, bien que séparé de lui, qu’il apprenne à s’y confronter. Il faudrait encore que le président se préoccupe du jeu parlementaire, mais pas uniquement pour y imposer ses vues majoritaires à travers un Premier ministre qui prend les coups.

Au fond que pourrait y gagner la France ? Elle y perdrait tant. 

Le Premier ministre est le chef des administrations, des forces de l’ordre, de la défense militaire. Il est surtout le chef du gouvernement. Ce gouvernement est à la tête de la grande armée des guichets de France, de la fourmilière des services publics, de la manne des agents. 

Depuis la fin de l’absolutisme, le gouvernement fait partie du paysage. La IIIe République s’est bien plus forgée grâce à ses parlementaires et à ses gouvernements – les solides ministres de l’Instruction, les ministres de la Guerre du xixe ! – qu’à ses Premiers ministres (les présidents du Conseil). Les tentatives de gouvernance sans ce gouvernement ont été impériales, et jamais le pouvoir administratif ne fut paradoxalement autant partagé que durant ces périodes. En effet, l’empereur Napoléon a créé les préfets, des « empereurs aux petits pieds » et l’empire de Napoléon III s’est clos sur un « empire parlementaire ». Quant au régime présidentiel tenté en 1848, il dura quatre ans sans séduire les Français : il n’était pas assez impérial et trop peu parlementaire !

Sans Premier ministre plus de secrétariat général du gouvernement qui chapeaute la rédaction de tous les textes, plus de secrétariat aux affaires européennes qui dialogue quotidiennement avec Bruxelles. 

C’est tout ce que le gouvernement et le Premier ministre font dans l’ombre qui est le plus beau et le plus précieux. Il faut admettre qu’un Premier ministre est indispensable pour ce que l’on ne voit pas de lui. Ce n’est pas qu’il en faille un nécessairement, mais il ne faudrait pas qu’il n’y soit pas. 

Alors, pourquoi ne pas proposer moins de Premier ministre ? Moins de président, moins d’exécutif ? Moins de politique tout court ? 

Dans un contrat d’une nouvelle gouvernance avec des décisions venant des localités, du peuple, du Parlement, des contrats de coalition stables autour de cinq ou six grandes orientations par législature, le Premier ministre idéal ficellerait des textes longuement médités et travaillés, gérerait ses administrations et proposerait une trêve olympique de la petite phrase et du coup de communication permanent. 

Rêvons à l’avenir avec ce Premier ministre-là ! 

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