Vous découvrirez dans cet article un étrange mélange à base de carapaces de crevettes, des polymères issus de tubercules ou encore des bactéries « usines à plastique ». (Pas de panique, on va tout vous expliquer !) Mais avant de pousser la porte des laboratoires, commençons par une évidence : les alternatives aux plastiques du quotidien se trouvent sous notre nez.

Carton, bois, verre, le plastique m’a tué

Jusqu’au milieu du XXe siècle, verre, bois, métal ou caoutchouc remplissaient une bonne partie des missions aujourd’hui dévolues au plastique. La raison pour laquelle ce dernier a tout englouti tient en un mot : sa praticité. Imaginez par exemple un pique-nique « no plastic ». Les assiettes en carton gondoleront si vous y versez un plat en sauce ; la gourde en inox pèsera plus lourd qu’une bouteille en PET ; les yaourts en verre risqueront de se briser… Quant au panier en osier, il vous encombrera une fois le repas terminé, alors qu’un cabas en plastique aurait pu être plié au fond d’une poche.

Fruit de décennies de développement, le plastique peut se targuer d’être léger, résistant aux chocs et à l’humidité, rigide ou souple selon les besoins… Bref, adaptable à souhait. Revenir aux matériaux d’« avant » impose de renoncer à une parcelle de facilité. Et on ne parle ici que d’un simple pique-nique ! Le plastique a tissé sa toile jusque dans les carlingues de nos fusées et les enrobages de nos comprimés.

Parmi les victimes du raz-de-marée figurent les bouteilles en verre consignées. Dans un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, le consommateur payait une petite caution lorsqu’il achetait une caisse de vin, que le commerçant lui remboursait lorsqu’il rapportait les bouteilles vides. Une fois lavées, elles allaient chez un autre client. Un cycle potentiellement infini, sans déchet ni pollution. 

Pourtant, en deux décennies, la consigne a presque totalement disparu en France. « Dans les années 1970, pour la conservation du lait, les briques multicouches (composées de carton, de plastique et d’aluminium) sont devenues plus performantes que le verre, raconte Bastien Vigneron, animateur de Réseau Consigne. Le coup fatal est venu dans les années 1990, quand la loi a encouragé le recyclage systématique, alors que la consigne n’était pas subventionnée. » Les industriels, eux, étaient ravis de produire du plastique jetable plutôt que de lourdes bouteilles en verre qu’il fallait rapatrier, laver, réétiqueter… 

Pourtant, rappelle Bastien Vigneron, « envoyer une bouteille en verre au recyclage, donc à la casse, est aussi absurde que de briser son assiette à la fin du repas ». Le Réseau Consigne s’active pour faire renaître la pratique. Et un député des Yvelines veut imposer le retour du verre consigné dans les cantines, pour en supprimer les bouteilles en plastique.

Maïs, pomme de terre et canne à sucre : les plus commercialisés

Voilà pour les matériaux connus et pouvant concurrencer le dieu plastique – du moins pour certains usages. Mais dans les laboratoires, les scientifiques se creusent les méninges : pour tous les domaines où le plastique reste indispensable, que diable utiliser pour obtenir les mêmes performances, tout en menaçant moins la planète ?

Ici, une pause « petit chimiste » s’impose. Pour fabriquer du plastique, il faut des polymères, c’est-à-dire des chaînes de molécules. On y ajoute ensuite des additifs pour conférer des caractéristiques particulières au matériau. La bonne nouvelle, c’est que la nature regorge de polymères, comme la cellulose ou l’amidon.

Le groupe français Sphère, champion européen des emballages ménagers, a ainsi jeté son dévolu sur l’amidon de pomme de terre pour fabriquer ses sacs-poubelle et ses sacs de fruits et légumes qui peuvent terminer au compost. Dans sa recette, jusqu’à 40 % d’ingrédients biosourcés, et un savant mélange de polymères d’origine pétrolière. « C’est très high-tech, il faut fournir la résistance et l’élasticité acceptables pour le consommateur, expose Jean-Marc Nony, directeur du développement durable de la société. Trouver un matériau qui fasse le job d’un sac en plastique tout en étant compostable, donc vulnérable aux micro-organismes, ça n’a rien d’évident. » 

Les sacs finaux, au toucher velouté, coûtent environ trois fois plus chers que leurs ancêtres d’origine pétrolière. « Mais il y a quinze ans, c’était cinq fois plus cher ! Ça se développe vite. La grande distribution réinvestit dans ces sacs ce que l’interdiction des sacs de caisse lui a fait économiser », poursuit Jean-Marc Nony. L’entreprise mise aussi, tout comme Volvic ou Ecover, sur le plastique à base de canne à sucre. Résistant, il ne se composte pas, mais peut rejoindre les filières de recyclage.

Marché de niche, le plastique biosourcé et/ou compostable se développe de façon rapide – on parle d’une progression de 20 % par an. Au-delà de la demande sociétale, la législation aussi attise les appétits. Depuis 2017, la loi de transition énergétique impose que les sacs de fruits et légumes contiennent au moins 30 % de matières renouvelables et puissent finir leur vie dans un compost domestique. En 2020, ce sera au tour de la vaisselle jetable.

« On travaille à fond sur les plastiques biosourcés, nos concurrents aussi. Le pétrole ne sera pas éternel, rappelle Jean-Marc Nony. Notre prochain challenge c’est un matériau qui résiste à la pluie mais puisse être dégradé par les micro-organismes en milieu marin. On pourrait l’utiliser dans les magasins de réseaux côtiers, par exemple, pour apporter notre contribution contre la pollution des océans. » 

Ne nous emballons pas, cependant : les plastiques compostables ne régleront pas le problème. Biosourcé ou non, un plastique abandonné aura bien le temps d’étouffer une tortue avant de se dégrader dans l’eau de mer. L’enjeu est plutôt d’exploiter des ressources renouvelables et de créer des plastiques qui restent moins longtemps dans l’environnement.

Au Chili, l’équipe de Solubag a inventé, à partir de calcaire, un sac plastique qui se dissout dans l’eau en quelques minutes. Chez le chimiste français Arkema, on exploite l’huile de ricin – une plante des terres arides – pour des usages ultratechniques. La version dure et transparente se transforme en verre de lunettes, par exemple, tandis que la version élastomère améliore le rebond de baskets de grandes marques. 

Pour le géant BASF, l’avenir réside dans l’amidon de maïs, qu’il décline en caisses de transport ou encore en capsules de café. Remplies de marc, elles peuvent finir dans le bac à compost plutôt que dans l’incinérateur. « Nous proposons aussi des films de paillage agricoles. Ceux en plastique traditionnel sont difficiles à enlever et à recycler, alors que les films compostables peuvent rester sur place. Cela fait gagner du temps aux agriculteurs, évite des pollutions et enrichit le sol », s’enorgueillit Ewen Chesnel de BASF.

Conditionnés en granulés, les plastiques biosourcés à base de pomme de terre, de canne à sucre ou de maïs s’insèrent facilement dans les machines des industriels. Ils sont donc les plus commercialisés. Mais il y a un hic : « Des surfaces agricoles sont dédiées à ces cultures, elles entrent en concurrence avec l’alimentation », rappelle Alice Gueudet, ingénieure à l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Même si la part de terres agricoles consacrées aux plastiques est minime à ce jour, l’agence préfère se tourner vers les ressources des déchets, ou de la mer.

Algues, bactéries et ailes de mouches : les plastiques de demain ?

Première piste : tirer parti des fameuses algues vertes, qui s’échouent en masse sur les plages. « On peut les mettre en bassin, les mettre en carence afin qu’elles produisent des réserves d’amidon, et ensuite purifier celui-ci, comme l’amidon de maïs ou de pomme de terre », décrit Alice Gueudet. La start-up Eranova met ainsi au point des granulés plastiques à base d’algues, que les industriels transformeront ensuite en sacs ou en pots rigides.

Plus surprenant : dans l’ouest de la France, chercheurs et industriels se sont alliés pour faire produire du plastique à des bactéries marines, prélevées sur des mollusques. « De même que mon père transforme le sucre issu de la prune en alcool par fermentation, ces bactéries savent transformer les matières carboniques – des déchets, par exemple – en polymères », explique Stéphane Bruzaud, professeur à l’université Bretagne Sud.

Découverts dès les années 1920, ces polymères nommés PHA reprennent du galon après avoir été étouffés par la toute-puissante pétrochimie. Fabriqués sans produits chimiques, ils offrent l’avantage de se former à température ambiante, alors qu’il faut chauffer la matière fossile à 150 ou 200 °C pour en tirer du plastique. Par ailleurs, le PHA peut se dégrader rapidement dans un composteur industriel. 

Un petit consortium s’est donc créé autour de ces micro-organismes marins : la société Triballat (des produits Sojasun) fournit ses eaux de lavage de soja pour nourrir les bactéries. Polymaris et l’université Bretagne Sud pilotent les recherches, avec le soutien de l’Ademe. Et la société Europlastiques, basée en Mayenne, réfléchit aux déclinaisons industrielles. « Avec ce projet, on relocalise la production de la matière plastique, au lieu de l’acheter dans le monde entier. Et il y a un côté économie circulaire, car on valorise un coproduit de l’agro-alimentaire. [Un coproduit est une matière secondaire créée en même temps que le produit principal. Il constitue une ressource potentielle mais devient un déchet s’il ne trouve pas d’utilité propre.] Nos clients sont vraiment en attente de ce type de matière », assure Éloïse Loriot, responsable de communication de l’entreprise mayennaise. 

Encore produit en quantité minime, le PHA de l’Ouest a déjà été transformé en pots rigides, en gobelets ou en fourchettes. Mais il coûte cher – plus de 10 euros le kilo, contre 1,5 pour du polypropylène classique. Stéphane Bruzaud l’imagine donc plutôt dans des produits à forte valeur ajoutée : « Le secteur du luxe pourrait en faire un argument marketing. Le PHA peut servir aussi pour l’impression 3D. Ou encore dans le biomédical, pour des seringues, des cathéters et même des prothèses. » Les bactéries ont fort à faire.

Mais un projet révolutionne plus encore le fonctionnement de l’industrie plastique. Traversons la planète, direction Singapour. En observant la nature, les équipes du professeur Javier Fernandez ont imaginé un jeu de construction à la fois basique et terriblement compliqué : créer du plastique en assemblant uniquement deux types de molécules, comme des briques de vivant, sans ajouter aucun produit chimique. « Le plus compliqué a été de les combiner, exactement comme elles ont été conçues pour s’assembler dans la nature, expose le professeur. L’approvisionnement, lui, ne pose pas de problème car ce sont les deux éléments les plus abondants sur la planète. »

La cellulose, en effet, est le principal composant des parois des cellules végétales (plantes, bois). Quant au second ingrédient ajouté en petite quantité, la chitine, on le trouve dans les ailes d’insectes, les carapaces de crevettes, les parois des champignons ou encore la nacre des coquillages. Leur alliage donne une matière aussi résistante que le bois, que l’on peut poncer, percer ou scier de la même façon. Et qui se révèle tout aussi biodégradable.

Problème : si les industriels savent parfaitement fondre, mouler ou souffler des granulés de plastique, ils ignorent comment jouer au Lego avec des molécules. En même temps que le matériau, le professeur Fernandez développe les machines à même de le transformer. Un grand bras articulé a ainsi imprimé en 3D une pale d’éolienne de 1,2 mètre, à la fois légère et résistante. « À l’avenir, on achètera le patron d’une table sur Internet et on l’imprimera localement avec les matériaux qui nous entourent – ça peut être de vieux tee-shirts ! On devient régional et circulaire », prédit le professeur. Les discussions, dit-il, vont jusqu’au secteur aérospatial.

Mais les spécialistes des matériaux et des déchets s’interrogent : faudra-t-il élever des milliards d’insectes, à qui on volera leur précieuse chitine ? Ces matières biosourcées coûteront-elles un jour moins cher que le plastique pétrochimique ? Tout est encore en chantier pour inventer le plastique du futur, et un vulgaire gobelet peut contenir un océan d’enjeux. 

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