Ô temps, suspends ton bol, ô matière plastique
D’où viens-tu ? Qui es-tu ? et qu’est-ce qui explique
Tes rares qualités ? De quoi donc es-tu fait ?
D’où donc es-tu parti ? Remontons de l’objet
À ses aïeux lointains ! Qu’à l’envers se déroule
Son histoire exemplaire. En premier lieu, le moule.
Incluant la matrice, être mystérieux,
Il engendre le bol ou bien tout ce qu’on veut. […]
Le styrène est produit en grande quantité
À partir de l’éthyl-benzène surchauffé.
Le styrène autrefois s’extrayait du benjoin,
Provenant du styrax, arbuste indonésien.
De tuyau en tuyau ainsi nous remontons,
À travers le désert des canalisations,
Vers les produits premiers, vers la matière abstraite
Qui circulait sans fin, effective et secrète. […]
Éthylène et benzène ont pour générateurs
Soit charbon, soit pétrole, ou pétrole ou charbon. […]
Le pétrole vient-il de masses de poissons ?
On ne le sait pas trop ni d’où vient le charbon.
Le pétrole vient-il du plancton en gésine ?
Question controversée... obscures origines...
Et pétrole et charbon s’en allaient en fumée
Quand le chimiste vint qui eut l’heureuse idée
De rendre ces nuées solides et d’en faire
D’innombrables objets au but utilitaire.
En matériaux nouveaux ces obscurs résidus
Sont ainsi transformés. Il en est d’inconnus
Qui attendent encor la mutation chimique
Pour mériter enfin la vente à prix unique.

Raymond Queneau compose Le Chant du styrène pour un documentaire d’Alain Resnais. Une épopée de commande pour Pechiney. Mais le poète inscrit ses alexandrins en voix off dans la grande tradition de la poésie scientifique. Où le premier vers, pastiche de Lamartine, renvoie au mystère des transformations immémoriales. 

 

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