Du point de vue du climat, il se passe beaucoup de choses dans les abysses ! D’une part, les masses d’eau, y compris en profondeur, transportent l’énergie et donc distribuent la chaleur d’un bout à l’autre de la planète. D’autre part, l’océan – notamment l’océan profond – séquestre du CO2.

Pour comprendre le transport d’énergie, il faut s’imaginer l’océan comme un mille-feuille de masses d’eau, qui circulent les unes au-dessous des autres. Le Gulf Stream, par exemple, absorbe la chaleur transmise par l’atmosphère dans le golfe du Mexique et la restitue à mesure qu’il traverse l’Atlantique vers les mers nordiques et du Labrador. Lorsqu’il y parvient, ses eaux – salées – sont devenues froides et « plongent » donc, se mélangeant aux eaux situées en dessous, par un mécanisme dont les détails nous échappent encore. Elles repartent ensuite vers le sud en longeant la côte est du continent américain, à plus de 1 500 mètres de profondeur, tournent autour de l’Antarctique dans le sens des aiguilles d’une montre, irriguent les océans Indien et Pacifique puis reviennent vers l’Atlantique, dans les couches de surface. Elles mettent en moyenne mille ans à effectuer cette boucle !

On surveille de très près ce transport d’énergie par les océans, car l’activité humaine est en train de le détraquer. Comme le climat se réchauffe, les eaux du Gulf Stream pourraient être moins froides à leur arrivée dans l’Atlantique nord ; et moins salées également, car le Groenland fond en relâchant de l’eau douce. Cela risque de perturber le mécanisme de retournement des masses d’eau, qui est pourtant crucial.

Préserver ces écosystèmes, et non y envoyer des pelleteuses

Voilà pour le transport de chaleur, premier lien entre l’océan profond et le climat. Le second lien tient à l’absorption du gaz carbonique : environ un quart du CO2 émis par les activités humaines se dissout dans l’océan. Une fraction est assimilée par le phytoplancton, ces algues microscopiques qui constituent le point de départ d’une chaîne alimentaire. Ensuite, lorsque les organismes marins meurent, ils chutent vers le fond, à la manière d’une neige marine, pour former des sédiments. Le carbone qu’ils contenaient reste donc séquestré pour des millions d’années.

Le reste du gaz carbonique dissous, celui qui n’est pas assimilé par les organismes marins, entraîne une acidification des mers. Celle-ci fragilise les carapaces ou les coquilles des espèces qui ont un squelette calcaire. On peut déclarer le CO2 « ennemi public numéro un » de l’océan : entre le réchauffement et l’acidification, la réponse des abysses, leur capacité à stocker du CO2, risque de s’essouffler.

Nous connaissons encore assez mal tous ces mécanismes. Et voilà qu’il est question d’exploiter des milieux encore plus méconnus : les sources hydrothermales, tout au fond des océans ! Si l’on descend gratter et secouer ces matériaux, ils risquent de relarguer le carbone qu’ils contiennent. Ce serait très grave… Il faut s’approcher de ces écosystèmes extraordinaires en cherchant à les comprendre et à les préserver ; pas en y envoyant des pelleteuses.

Propos recueillis par Hélène Seingier