Une démocratie citoyenne, enrichie et augmentée
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La loi sur les retraites a donc été adoptée et promulguée. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’elle était conforme à la Constitution, à quelques cavaliers sociaux près. Connaissant les modes de raisonnement du Conseil, sa jurisprudence passée, son désir de défendre avec ferveur les libertés mais sa timidité quand il s’agit de s’aventurer sur le terrain des relations entre les pouvoirs, je ne m’attendais pas à autre chose. Tout cela suffit-il à nous permettre de considérer que, dans la circonstance, le fonctionnement de nos institutions a été conforme à l’idée que nous nous faisons de la démocratie ? Un processus peut être légal sans être authentiquement démocratique. En l’occurrence, les instruments de « rationalisation » du parlementarisme qui ont été utilisés sont tous réguliers, mais leur accumulation finit par créer un problème démocratique. La réaction de l’opinion, après l’adoption par le recours à l’article 49.3 de la Constitution d’un texte aussi important, signifie qu’à la crise sociale s’est ajoutée, qu’on le veuille ou non, une crise démocratique. Nous avons là un sérieux problème qui trouve son origine dans le résultat des dernières élections législatives : en juin 2022, le fait majoritaire s’est retiré de notre vie institutionnelle pour la première fois depuis 1962, et nous n’avons pas fini d’en mesurer les conséquences.
La disparition du fait majoritaire
La Constitution de la Ve République a été écrite par des gens qui souhaitaient donner de la stabilité à l’exécutif et écarter les désordres parlementaires de la IVe. Pour cela, ils avaient prévu toute une série d’instruments permettant de limiter la liberté du Parlement. Pendant longtemps, cet arsenal n’a pas servi à grand-chose, sinon à rappeler à l’ordre des majorités quand elles commençaient à traîner des pieds. Pour une raison simple : en dehors de la période 1988-1993, les présidents ont toujours disposé de majorités absolues. Depuis 2022, les choses ont changé. Avec un président sans majorité absolue, la logique aurait voulu qu’on passe à une interprétation plus parlementariste des institutions. C’est du reste ce qui a été fait pour les premiers textes de la législature qui ont été votés par des majorités ad hoc.
Mais avec la réforme des retraites, le pouvoir exécutif a agi comme si la disparition du fait majoritaire n’avait pas eu lieu. Mon propos ne vise pas à remettre en cause la démocratie représentative, au contraire ! Beaucoup de Français, à commencer par ceux qui manifestaient dans la rue, voulaient savoir ce que leurs représentants pensaient du texte sur les retraites. Combiné à la stratégie d’obstruction d’une partie des oppositions, ce refus a donné le sentiment au pays que l’on avait fait violence à l’esprit de la démocratie.
Cette crise démocratique ne se limite pas aux institutions, elle touche aussi les relations du pouvoir a


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