Bien qu’elle ait été beaucoup décriée, la décision du Conseil constitutionnel concernant la réforme des retraites n’est pas surprenante. Ce dernier, comme à son habitude depuis 1958, s’en est remis à la culture du précédent et de la prudence : il a exercé un contrôle de proportionnalité restreint à l’adéquation des objectifs du législateur avec la Constitution, sans chercher à s’immiscer dans des questions de gouvernance et avec la volonté de donner un raisonnement propre et relativement restreint. À l’instar des juges de la Cour suprême américaine, les Sages de la rue Montpensier adoptent souvent une posture d’« autolimitation » dans leur office. Cette décision témoigne à la fois d’une vitalité institutionnelle et d’un certain classicisme dans la vision qu’a le Conseil de son rôle de contre-pouvoir. En pensant que le Conseil constitutionnel pouvait aborder cette question en ayant en vue l’horizon social et populaire de cette crise de légitimité, les oppositions et les citoyens faisaient fausse route. Les membres du Conseil constitutionnel ne sont que des juges, et ils l’ont été pleinement.

L’idée que les outils constitutionnels de la Ve République comme le 49.3 ou le 47.1 seraient autoritaires découle avant tout du sentiment que la représentation nationale est muselée dans ses droits. Mais il me semble important de conserver et de redonner confiance en ces outils pour que les gouvernants puissent les utiliser dans les périodes pour lesquelles ils ont été pensés – notamment, les crises de majorité. À mon sens, les critiques qu’ils essuient aujourd’hui sont avant tout liées à la façon dont ils ont été maniés par le gouvernement, qui a additionné les recours à ces procédures spéciales dans un laps de temps court et un contexte social exigeant. Bien qu’il soit louable de chercher à donner de l’oxygène à notre parlementarisme rationalisé, ces outils ne sont pas les symboles d’une République autoritaire.

Il est important de ne pas attendre d’une réforme institutionnelle ce qu’elle ne peut apporter

À court terme, il est certain que nous continuerons de fonctionner à « droit constitutionnel constant », c’est-à-dire sans modification intégrale de la Constitution avec une VIe République. Même s’il est impossible de considérer qu’une constitution immuable puisse convenir à une société et à ses évolutions, il est important de ne pas attendre d’une réforme institutionnelle ce qu’elle ne peut apporter. Penser que les textes fondamentaux de nos institutions peuvent parer à toute circonstance est une erreur : la Constitution offre avant tout des outils et des procédures. Depuis la Grèce antique, la façon dont les citoyens sont gouvernés tient non seulement au rapport à la loi, au respect de ses dispositions, mais aussi au sens qu’ont les gouvernants de la polis, c’est-à-dire la façon de vivre dans la cité. Il appartient donc aux députés, aux élus locaux, aux syndicats comme au gouvernement et au président de retrouver les moyens de faire appel à notre fibre citoyenne. Cette crise ne pourra pas se résoudre par le biais de nouvelles procédures, de nouvelles lois ou de nouveaux chantiers. Il faut absolument faire un travail de psychologie sociale pour réparer le lien démocratique. Les textes donnent compétence, mais pas autorité : celle-ci s’obtient par des éléments d’une nature juridique plus abstraite comme la transparence et la confiance, qui sont de l’ordre du discours politique.

Une des grandes qualités de la Ve République est d’être en quelque sorte un caméléon

Pour décrire la culture parlementaire de la Ve République, le constitutionnaliste gaulliste Marcel Prélot parlait du « corset du parlementarisme rationalisé ». Sous le coup de celui-ci, les capacités de compromis parlementaire développées sous la IIIe et la IVRépublique ont été progressivement atrophiées. Mais nous sommes capables de retrouver ces capacités, et il appartient aussi à nos élus de se réapproprier une culture du compromis et du temps long. Une des grandes qualités de la Ve République est d’être en quelque sorte un caméléon, capable de s’adapter et de réagir aux diverses crises qui la traversent. Le peuple a d’abord besoin de plus de considération dans la manière dont les politiques sont menées. Peut-être que l’expression « respiration démocratique » employée par Emmanuel Macron lors de son premier quinquennat mériterait de réintégrer son vocabulaire. 

 Conversation avec FLORIAN MATTERN

 

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