En 2011, Emmanuel Macron plaidait dans la revue Esprit pour une reconstruction de la responsabilité politique passant par « une délibération permanente » et « la double vertu du parlementarisme et de la démocratie sociale ». En 2023, devenu président, il fait adopter sa réforme des retraites après une concertation syndicale tronquée, une délibération parlementaire contrainte et le strict minimum d’explications crédibles. Emmanuel Macron n’est certes pas le premier contempteur de l’exercice solitaire du pouvoir à se draper dans les habits du présidentialisme mais, cette fois, quelque chose ne passe pas. Depuis le bouquet final du 49.3, le pays s’est cabré et la crise sociale a mué en crise démocratique. Quelques jours avant un 1er Mai unitaire et une dernière tentative de mettre sur orbite un référendum d’initiative partagée (RIP), nous interrogeons cette curiosité française : comment le pays de Montesquieu, qui défendait l’équilibre entre « les facultés de statuer et d’empêcher », a-t-il pu se doter de contre-pouvoirs aussi faméliques ? Un Parlement godillot ou contourné, une justice sous tutelle, des autorités administratives – défenseur des droits ou contrôleur des prisons – qui tempêtent dans le désert. Que la vénérable Ligue des droits de l’homme (LDH) alerte sur les interventions policières et le premier flic de France sort sa matraque ! Quelles faiblesses coupables se cachent derrière ces accès d’autoritarisme ?

Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le juriste Dominique Rousseau estime que nous vivons « une crise de régime » caractérisée par un décalage entre des institutions centrées sur le suffrage universel et des citoyens qui ne supportent plus d’être « cantonnés à l’exercice de leur compétence électorale ». Le directeur de Terra Nova Thierry Pech, qui a coprésidé la Convention citoyenne pour le climat, appelle de ses vœux une démocratie représentative enrichie du concours des citoyens. La constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina pense, elle, qu’il n’est nul besoin de changer nos institutions pour trouver la voie des compromis.

En tout cas, cette hémiplégie démocratique n’empêche pas associations et collectifs de se faire entendre, parfois bruyamment. Et les syndicats, au terme d’une défaite en trompe-l’œil, sont sûrement en meilleure posture pour hâter leur rénovation : la CFDT et la CGT vont toutes deux être dirigées par des femmes, Marylise Léon et Sophie Binet, qui ont réfléchi à cette question. La sagesse d’une démocratie passe par l’organisation de sa conflictualité, sujet sur lequel le président a beaucoup promis et rien tenu. Il s’est donné trois mois pour renouer le dialogue. Patatras ! Sourdes à la protestation sociale, ses oreilles ont sifflé aux premiers concerts de casseroles, auxquels il a conseillé de filer en cuisine ! 

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