À la diable
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Après trois décennies d’existence, la genèse et l’histoire des sociétés militaires privées, communément appelées SMP, commencent à s’écrire. Et c’est peu dire que l’on est saisi d’un vertige en découvrant l’ampleur de l’externalisation de fonctions militaires décisives à ces entreprises. Parti d’Afrique du Sud, le phénomène s’est développé aux États-Unis et a définitivement gagné le monde entier. Depuis les années 2000, des milliers de SMP agissent sur les théâtres de guerre ou dans des zones de tension à la demande des pouvoirs politiques, exactement comme ces derniers commandent études et conseils aux sociétés d’audit type McKinsey et compagnie.
Cette translation d’une large partie du domaine militaire, ignorée du grand public, passe par une multitude de prestations comme le transport des troupes et du matériel, la formation des soldats, la protection des personnalités et des sites sensibles, le renseignement militaire. Ce sont des centaines de milliers d’emplois et un chiffre d’affaires de plusieurs centaines de milliards de dollars chaque année. Un business dangereux, mais relativement discret et protégé, jusqu’à ce que le terrible M. Evgueni Prigojine, alias « le cuisinier de Poutine », patron de la SMP Wagner, déboule sur l’avant-scène de l’actualité internationale.
Encore faut-il reconnaître que le groupe Wagner et son président tranchent nettement dans cet univers opaque.
À travers cette figure déconcertante de condottiere et de soudard, ce numéro du 1 hebdo brosse l’histoire et le tableau de cette nouvelle façon de gérer l’outil militaire et de faire la guerre. Encore faut-il reconnaître que le groupe Wagner et son président tranchent nettement dans cet univers opaque. La première différence tient au choix de la visibilité. Depuis l’origine, les SMP s’efforcent de ne pas faire parler d’elles et refusent de communiquer. Prigojine, lui, renverse la table, endosse la casaque de Wagner et porte son oriflamme à la diable. Comme si un irrépressible besoin de se montrer l’habitait, il se fait filmer sur le terrain et menace, vocifère, invective son donneur d’ordres – rien moins que le ministre de la Défense russe. L’ancien aide de camp des présidents Mitterrand et Chirac, Peer de Jong, analyse et décrypte pour nous cette attitude singulière.
La seconde différence qui caractérise Wagner, c’est l’engagement sur le terrain. Il est de fait unique de voir à Bakhmout, en Ukraine, depuis août 2022, une unité mercenaire en première ligne à la place de l’armée régulière. Des milliers de combattants, en grande partie enrôlés dans les prisons russes, y ont déjà perdu la vie (on parle de plus de 30 000 hommes). Pour le coup, on est loin de la sous-traitance logistique, le cœur de métier de ces entreprises. Le cuisinier de Poutine a plus que modifié la recette des SMP.
« Les hommes de Wagner ne portent ni galons ni drapeau russe »
Peer de Jong
Ancien aide de camp des présidents Mitterrand et Chirac, Peer de Jong revient sur l’apparition des SMP au crépuscule des années 1980 et leur progressive banalisation.
[Musik]
Robert Solé
Moi, Evgueni Viktorovitch Prigojine, chef du groupe Wagner, je m’essuie les pieds sur les lopettes galonnées qui prétendent diriger l’armée russe.
L’art de réclamer des armes
Thomas Schlesser
L’historien de l’art Thomas Schlesser analyse la façon dont la communication d’Evgueni Prigojine joue avec les codes établis de la propagande de guerre.