Le vieux maître est enfin sorti, et je prétends que ses génies fassent aussi ma volonté. J’ai bien remarqué les signes et les paroles qu’il emploie, et j’aurai bien la hardiesse de faire comme lui des miracles.
« Allons ! allons ! vite à l’ouvrage : que l’eau coule dans ce bassin, et qu’on me l’emplisse jusqu’aux bords ! »
Approche donc, vieux balai : prends-moi ces haillons ; depuis longtemps tu es fait au service, et tu te soumettras aisément à devenir mon valet. Tiens-toi debout sur deux jambes, lève la tête, et va vite, va donc ! me chercher de l’eau dans ce vase.
« Allons ! allons ! vite à l’ouvrage : que l’eau coule dans ce bassin, et qu’on me l’emplisse jusqu’aux bords ! »
Tiens ! le voilà qui court au rivage !… Vraiment il est au bord de l’eau !… Et puis il revient accomplir mon ordre avec la vitesse de l’éclair ?… Une seconde fois ! Comme le bassin se remplit ! comme les vases vont et viennent bien sans répandre !
Attends donc ! attends donc ! ta tâche est accomplie ! Hélas ! mon Dieu ! mon Dieu !… j’ai oublié les paroles magiques !
Ah ! ce mot, il était à la fin, je crois ; mais quel était-il ? Le voilà qui revient de nouveau ! Cesseras-tu, vieux balai ?… Toujours de nouvelle eau qu’il apporte plus vite encore !… Hélas ! quelle inondation me menace !
Non, je ne puis plus y tenir… Il faut que je l’arrête… Ah ! l’effroi me gagne !… Mais quel geste, quel regard me faut-il employer ? (…)
– Maître, sauvez-moi du danger : j’ai osé évoquer vos esprits, et je ne puis plus les retenir.

Choix de ballades et poésies, traduit de l’allemand par Gérard de Nerval, 1840

 

 

Passionné de botanique, de géologie et d’optique, Goethe se voulait scientifique plus qu’écrivain. Et pourtant, il se méfia toujours de la brutalité du savant dans sa conquête du monde… Sur une musique de Paul Dukas, son élève sorcier sera incarné par Mickey dans Fantasia.

 

 

 

 

 

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