On considère souvent l’ADN, ou le code génétique, comme une matrice qui définit un individu sans aucune marge de manœuvre possible par rapport aux informations codées et fixant, une fois pour toutes, ses caractéristiques individuelles : un déterminant absolu. Pourtant, avec les nouvelles connaissances en épigénétique, on a compris l’énorme influence de l’environnement sur ce que nous sommes et devenons. Les marques épigénétiques sont de petites modifications chimiques qui peuvent marquer des séquences spécifiques de chacun de nos 22 000 gènes et moduler l’intensité du fonctionnement de chacun d’entre eux. Ces marques, en principe réversibles, sont susceptibles d’être modifiées par notre environnement chimique (les polluants parmi lesquels nous vivons), notre mode de vie, notre alimentation, le stress que nous éprouvons et une myriade d’autres facteurs.

Tout n’est donc pas déjà déterminé à notre conception. Nos vies façonnent aussi ce que nous devenons : les marques épigénétiques se modifient au cours du temps. Ainsi, des vrais jumeaux ont un génome identique à 100 %, mais leurs marques épigénétiques divergent de plus en plus au fil de leur vie, du simple fait qu’ils la mènent différemment.

Ces modifications épigénétiques sont en principe réversibles au cours du temps, et effacées durant le développement embryonnaire de chaque nouvel individu conçu. On ne devrait pas hériter des marques épigénétiques de ses parents ou grands-parents. Toutefois, il a été observé que certaines de ces marques peuvent se retrouver à l’identique sur l’ADN des descendants, une ou plusieurs générations après la modification induite par l’environnement initial, comme si elles avaient résisté à l’effacement. Il a ainsi été bien démontré chez des rongeurs de laboratoire, mais pas encore chez l’homme, que l’exposition à certains pesticides, du fait des modifications épigénétiques qu’elle induit, joue un rôle délétère non seulement sur la santé de l’individu exposé, mais aussi sur celle de ses descendants. Cela devrait nous faire sérieusement repenser certaines questions de toxicologie et de santé environnementale. Et nous faire considérer enfin que l’écologie, la lutte pour la non-dégradation de la planète, est non seulement un impératif de santé pour les autres espèces, mais aussi pour nos descendants.

CRISPR-Cas9 permet de changer des fragments d’ADN, de couper des éléments portant des mutations liées à des maladies pour réinsérer de l’ADN non muté. De là à penser qu’un jour on puisse modifier des régions épigénétiquement marquées par notre environnement pour en introduire d’autres, différemment marquées, il n’y a qu’un pas. Certains étudient d’ailleurs cette option, par exemple dans le cas des modifications liées à des gènes de développement tumoral. Toutefois, il faut bien réfléchir en amont de ces possibilités techniques et se garder de vouloir uniformiser le vivant en effaçant tout ce qui le rend unique, différent, propre à chacun. Il faut aussi penser à l’environnement, dans lequel nous sommes immergés, et le choyer pour être nous-mêmes mieux protégés des effets délétères que sa dégradation pourrait avoir sur nos gènes. Cet environnement, au sens large, comme tout ce qui constitue « le dehors » de nous-mêmes, reste un facteur imprévisible qui nous modifie au fil du temps. C’est lui qui donne à l’être humain une marge de manœuvre pour évoluer, au-delà de son code génétique. 

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