Quelle est la différence entre l’ADN et l’ARN messager ?

L’ADN est le support sur lequel le vivant, qu’il soit végétal, animal ou humain, stocke de l’information. C’est une molécule composée d’une double hélice et de bases nucléiques qui se font face et interagissent par des liaisons hydrogène. L’ARN messager (ARNm) dérive directement de l’un des deux brins d’ADN : la double hélice de ce dernier se déplie et s’allonge pour laisser place, par la mise en jeu d’enzymes complexes que l’on appelle les polymérases, à la structure de l’ARN messager. L’ARN messager joue un rôle indispensable puisqu’il permet le transfert de l’information lors de la synthèse des protéines.

Le séquençage complet du génome humain a été achevé il y a dix-huit ans. C’était à l’époque annoncé comme une révolution qui devait tout changer. Que s’est-il passé depuis ?

Le séquençage du génome humain représente un travail incroyable. Beaucoup étaient sceptiques sur la possibilité de déchiffrer trois milliards de paires de bases nucléiques ! L’exemple du Covid-19 nous montre aujourd’hui en quoi la science a encore formidablement avancé depuis. La structure du Sars-CoV-2 a pu être élucidée en seulement quelques semaines. Grâce aux techniques de séquençage rapide, on est même capable de repérer les variants du virus. Il existe déjà une collection mondiale de plus de cent mille génomes de virus Sars-CoV-2. Nous avons aussi été capables de suivre ses migrations à la trace, d’observer son passage d’un pays à l’autre. C’est extraordinaire.

De manière plus large, hors contexte épidémique, les marqueurs génétiques nous permettent de savoir si une population ayant peu bougé d’un isolat géographique a pu essaimer dans d’autres endroits du globe. C’est très important, car un certain nombre de variants génétiques peuvent protéger ou, au contraire, être des facteurs favorisant des maladies. Et l’on est en mesure, avec une analyse génomique individuelle, d’obtenir un taux de prédictibilité de certains types de maladies. C’était impensable avant le séquençage complet du génome.

En quoi la technique CRISPR-Cas9, dite des « ciseaux moléculaires », marque-t-elle pour vous une étape majeure ?

Avec CRISPR-Cas9, nous sommes passés de l’observation du génome, qui permet le diagnostic d’une maladie simple affectant un gène, à la possibilité d’intervention sur ce dernier. En génétique, nous sommes passés de l’observation à l’action. Les premières tentatives de thérapie génique ont émergé dans les années 2000. À l’époque, on savait que certaines maladies particulièrement graves, liées à une seule anomalie sur un seul gène, pouvaient être éventuellement corrigées par l’adjonction d’un gène à l’origine absent ou défectueux. Mais le problème de cette technique est qu’elle contraint à un travail relativement aveugle. Il peut arriver que l’on insère un gène dans l’ADN de manière inappropriée. Avec CRISPR-Cas9, tout change. On est maintenant capable de repérer très précisément l’endroit que l’on veut réparer.

Ces nouvelles pratiques d’ingénierie génomique posent des questions éthiques. L’eugénisme est-il un véritable risque ou un simple fantasme ?

Je crains que l’eugénisme ne relève pas uniquement du fantasme ! Pour preuve, la naissance en 2018 en Chine de jumelles génétiquement modifiées. Bienvenue à Gattaca n’est plus seulement un film de science-fiction. Cette initiative était parfaitement scandaleuse car, même si le père des jumelles était atteint du sida, il n’y avait pas lieu d’inactiver le récepteur de la maladie chez les bébés. Il existe d’autres techniques, qui ne font aucunement appel au génome, pour guérir ou prévenir l’apparition du sida chez un bébé.

Les recherches sur l’embryon sont autorisées en France, depuis 2013. Peut-on imaginer que des embryons génétiquement modifiés puissent y être produits ?

En 2016, les académies américaines des sciences et de médecine avaient pratiquement exclu dans un rapport la thérapie génique germinale chez l’homme, c’est-à-dire la modification des caractères germinaux avec leur transmissibilité à toutes les descendances à venir. Leur tout dernier rapport de 2020 est un peu plus nuancé, mais il insiste sur les contrôles techniques et les réserves éthiques par rapport à ce type d’approche. Les expériences qui pourraient hâter la modification du génome germinal dans le but de créer des embryons, et donc des individus génétiquement modifiés, devraient être en tout état de cause strictement encadrées au niveau international.

En France, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne. Notre loi de bioéthique, en cours de finalisation, ne reviendra pas sur cette position, même si des cas exceptionnels feront sans doute l’objet de débats éthiques.

Au regard des sommes investies, notamment par des acteurs privés, on a du mal à penser que ces techniques ne serviront qu’à soigner des maladies rares…

Bien sûr, ce type de manipulations génétiques m’inquiète. Choisir la couleur des yeux, des cheveux, ou le sexe de son enfant, comme cela peut-être déjà parfois le cas aux États-Unis, c’est un premier pas vers l’eugénisme.

Les dangers sont-ils similaires dans le domaine du végétal, dans l’agriculture ?

Il existe des blocages qui n’ont pas lieu d’être. Grâce à CRISPR, on peut espérer à l’avenir restituer à des plantes la résistance qu’elles ont perdue à la suite de dérives génétiques. Résistance à la sécheresse, à la chaleur ou à des champignons. Je crains que notre pays et, de manière générale, l’Europe expriment des réticences face à ces avancées. En 2019, une décision de la Cour européenne de justice a assimilé les modifications induites par CRISPR-Cas9 dans des plantes à des modifications de type OGM. Or, c’est incorrect sur le plan de la technologie : CRISPR-Cas9 n’a pas pour objectif d’injecter dans une plante un gène qui ne s’y trouvait pas antérieurement, mais de corriger un gène, de rendre à la plante ses capacités originelles. Il permet une sélection bien plus rapide qu’avec les techniques traditionnelles ou les OGM, qui sont effectivement des organismes génétiquement modifiés par adjonction de gènes de sélection.

Des milliers de Français reçoivent actuellement un vaccin de type nouveau, à ARN messager. Comprenez-vous les craintes que ce nouveau vaccin suscite ? Et comment y répondre ?

Je comprends très bien cette inquiétude, d’autant plus que les médias grand public n’ont pas accordé un temps suffisant aux experts pour expliquer de quoi il s’agit. Il faut d’abord rappeler que l’ARNm va coder l’une des 29 protéines du Sars-CoV-2, la protéine Spike, qui permet l’attachement du virus sur les cellules humaines, notamment pulmonaires et nasales. Cette séquence d’ARNm est protégée dans une microcapsule lipidique. Sans elle, l’ARN serait immédiatement détruit dans le torrent sanguin. La gouttelette lipidique va interagir avec les membranes lipidiques des cellules. Il va y avoir une internalisation, c’est-à-dire une fusion de la membrane de la cellule hôte avec la membrane lipidique artificielle qui encapsule l’ARN. L’ARN va alors être délivré à l’intérieur de la cellule et produire des fragments de Spike, la protéine virale contre laquelle on veut développer le vaccin. Le virus ne peut pas se répliquer. Il se réplique avec une ARN polymérase qui lui est propre et qui, dans le cas du vaccin, n’est pas dans la capsule. La protéine Spike est ensuite expulsée et va interagir avec d’autres cellules, dont les cellules immunitaires qui vont fabriquer des anticorps contre elle. Ces anticorps vont ensuite inactiver l’entrée du virus. En fonction des variants de la protéine Spike, il faudra créer des ARN messagers qui correspondent non plus à l’ARN du virus sauvage initial, mais à l’ARN muté. Si l’on parvient à créer un vaccin par variant, cela constituera un progrès inouï. Précisons, enfin, qu’en aucun cas l’ARN ne peut s’incorporer dans l’ADN, l’ARN du virus n’étant pas un rétrovirus.

Les travaux sur la génétique permettront-ils, demain, de prévenir les épidémies ?

Pour prévenir une épidémie avec CRISPR-Cas9, il faudrait non seulement connaître l’agent infectieux, mais aussi avoir une cible bien précise pour éradiquer cet agent. Ce n’est pas toujours le cas. Une autre possibilité, dans le cas du paludisme par exemple, serait l’introduction dans les moustiques de gènes qui vont pouvoir éliminer l’agent infectieux. Il s’agirait, par exemple, de rendre infertiles les moustiques femelles qui le véhiculent. C’est possible, cela a été fait en laboratoire. Mais cette stratégie est dangereuse et contestée, car elle implique une modification lourde et difficilement contrôlable de l’environnement.

Quelles sont les révolutions que vous attendez sur le terrain de la génétique et du génome ?

Si j’en reviens à mon domaine d’expertise, j’espère que la génétique permettra de mieux appréhender les maladies chroniques dégénératives. Nous avons la possibilité aujourd’hui de les traiter avec des médicaments, mais nous sommes encore incapables, à quelques exceptions près, de déterminer quel type de médicaments convient davantage à tel ou tel individu, comme on commence à pouvoir le faire pour des maladies comme le cancer. Pour la maladie d’Alzheimer et, de manière générale, pour les maladies neurodégénératives et les maladies psychiatriques, qui sont un problème majeur, j’aimerais que l’on progresse sur l’identification des mécanismes. On sait par exemple que certaines formes d’Alzheimer très rares sont dues à des anomalies génétiques sur un gène. Idem pour l’autisme. On commence à comprendre aussi que l’on peut développer un autisme ou un Alzheimer avec un panel de gènes discrètement modifiés, ces modifications ajoutées les unes aux autres entraînant la maladie. Connaître ces mécanismes avec plus de précision permettrait d’être prédictif et, d’autre part, d’individualiser le traitement de chaque patient. 

 

Propos recueillis par JULIEN BISSON et MANON PAULIC

 

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