On a tendance à décrire CRISPR-Cas-9 comme une simple paire de ciseaux moléculaires alors qu’il semble avoir toutes les caractéristiques d’un outil magique. Comment décririez-vous votre découverte ?

CRISPR-Cas9, c’est l’histoire d’un travail de recherche mené sous l’impulsion de la curiosité et dont les conclusions ont permis de créer une technologie extrêmement innovante, capable de modifier l’ADN, qui est le code de la vie même. Ses potentialités sont très nombreuses : CRISPR-Cas9 sera utile dans des domaines aussi variés que la médecine, l’agriculture ou encore l’élevage animal. C’est un merveilleux exemple de la manière dont la science avance la plupart du temps : des chercheurs explorent un sujet qu’ils trouvent intéressant, sans but réellement précis, et finissent par comprendre quelque chose du fonctionnement de la nature. C’est de cette manière qu’Emmanuelle Charpentier et moi-même avons commencé à travailler ensemble. Au fil de nos recherches autour de CRISPR, nous avons fini par découvrir la fonction d’une protéine spécifique. Cette découverte nous a permis de diriger nos recherches vers de nouvelles voies que nous n’aurions jamais pu imaginer au départ.

Quels sont vos plus grands espoirs concernant CRISPR-Cas9 ?

Je suis très enthousiaste par rapport aux opportunités qu’offre CRISPR-Cas9, en particulier dans le domaine de la médecine et de l’agriculture. D’un point de vue médical, cette technologie est déjà utilisée dans le cadre de la drépanocytose, une maladie du sang, bien connue depuis plusieurs décennies, causée par la mutation d’un gène particulier qui encode l’une des protéines essentielles au transport de l’oxygène vers nos cellules sanguines. CRISPR est une technologie formidable pour lutter contre ce type de maladies parce qu’il peut être utilisé pour corriger la maladie à l’origine de la mutation ou bien, comme dans notre exemple, pour activer l’expression d’un autre gène capable d’annuler les symptômes de la maladie. Un grand nombre de patients atteints de drépanocytose ont déjà pu être guéris grâce à CRISPR. C’est incroyablement stimulant !

Les opportunités pour le futur sont gigantesques. Dans le domaine de l’agriculture aussi, il est de plus en plus possible de recourir à CRISPR pour modifier une plante en ciblant plusieurs gènes à la fois. Ce type d’édition génomique rend par exemple possible la création de versions de plantes de culture résistantes à la sécheresse. On pourra aussi très certainement se servir de CRISPR pour faire en sorte que les microbes présents dans les sols soient capables de capturer davantage de carbone. Je pense que, dans le futur, CRISPR finira par être utilisé à l’échelle du monde entier pour améliorer l’agriculture et offrir ainsi certaines solutions face aux impacts du changement climatique.

Sur quoi concentrez-vous aujourd’hui votre énergie et votre attention ?

L’un des défis qui m’intéressent particulièrement désormais, et qui fait suite aux exemples que j’ai cités précédemment, c’est de trouver le moyen de contrôler le coût de cette technologie et de faire en sorte qu’elle soit financièrement accessible à tous ceux qui en ont besoin, partout dans le monde. C’est un sujet auquel je porte une grande attention.

Où en est-on de l’utilisation de CRISPR-Cas9 sur l’être humain ?

Un grand nombre d’essais sont actuellement menés sur les humains pour tester CRISPR-Cas9 dans le cadre d’autres maladies que la drépanocytose. Dans un premier temps, cette technologie sera particulièrement utile pour soigner les maladies génétiques dont la cause se trouve dans la mutation d’un seul et unique gène. Plus tard, je l’espère, nous parviendrons à traiter plusieurs gènes à la fois.

Pensez-vous que CRISPR-Cas9 puisse jouer un rôle important dans la lutte contre les pandémies ?

Tout à fait ! Il faut comprendre que CRISPR fonctionne comme le système immunitaire des bactéries. Ces dernières utilisent CRISPR pour identifier et détruire les virus qui les attaquent. Nous pourrions donc, dans le futur, l’exploiter en médecine à ces fins. CRISPR est déjà depuis l’an dernier un outil de diagnostic du coronavirus. De nombreux laboratoires, dont le mien, sont en train de développer un test de détection rapide du matériel génétique du Sars-CoV-2 en s’appuyant sur cette technologie. Ces outils, qui fonctionnent pour le moment très bien dans les laboratoires, pourront être utilisés dans les cabinets médicaux, voire chez soi, dans un futur proche.

CRISPR-Cas9 soulève d’importantes questions éthiques. En 2019, un généticien chinois a été condamné à trois ans de prison pour avoir « fabriqué » les premiers bébés génétiquement modifiés. Quelles sont vos plus grandes craintes par rapport à l’utilisation de CRISPR-Cas9 ?

Ma plus grande inquiétude est que la manière dont fonctionne CRISPR-Cas9 soit mal interprétée et qu’il résulte de cette incompréhension un rejet de la part du grand public, même dans les cas où son utilité paraît évidente. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il est crucial d’être dès le départ transparent quant au fonctionnement et à l’utilisation de CRISPR. L’exemple des embryons chinois montre en quoi il est indispensable que les scientifiques s’impliquent personnellement dans les débats mondiaux autour des nouvelles technologies telles que CRISPR. Dans ce cas précis, des comités se sont formés au sein de l’OMS et des Académies nationales de sciences de plusieurs pays pour faire part du désaccord de la communauté internationale par rapport à une telle utilisation de CRISPR. Cet engagement de la part des scientifiques est très positif.

Quelle serait la meilleure manière d’éviter les pires scénarios ?

Du fait qu’il n’existe aucun moyen de faire appliquer une régulation des technologies à l’échelle mondiale, il faut faire en sorte qu’un maximum de personnes, y compris les non-scientifiques, s’emparent du sujet et comprennent de quoi il retourne. Il en va de même pour d’autres technologies, comme l’intelligence artificielle. Le mieux que nous puissions faire en tant que scientifiques est de promouvoir le débat public pour que chacun s’éduque en s’informant dans la presse, dans les livres de vulgarisation. J’invite tous ceux qui souhaitent s’informer davantage sur le sujet à se rendre sur le site web de notre institut innovativegenomics.org, où nous présentons CRISPR-Cas9, notamment à travers un ensemble de vidéos didactiques. 

 Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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