« La première victime d’une guerre, c’est toujours la vérité. » On attribue la phrase à Rudyard Kipling. Peu importe que certains l’estiment apocryphe, l’essentiel est l’exactitude de son propos. La guerre de conquête de l’Ukraine menée par Vladimir Poutine n’y a pas dérogé : elle a été précédée et reste accompagnée d’innombrables mensonges ou de pures inventions. Le jeune historien russe Ilya Yablokov, de l’université de Sheffield, a résumé quelques-unes des théories du complot diffusées par le régime moscovite et ses médias : « L’Ouest entend démembrer la Russie ; l’Otan a transformé l’Ukraine en un camp militaire ; l’opposition russe veut détruire le pays de l’intérieur ; le mouvement LGBTQ est un complot contre la Russie ; l’Ukraine veut user d’armes chimiques… »

Cette propagande vise à enfermer les Russes dans une vision aux racines très anciennes qui fait d’eux à la fois les dominateurs légitimes des peuples qui les entourent (autres Slaves inclus) et les victimes permanentes d’agresseurs extérieurs. Ce matraquage des esprits, aujourd’hui directement encouragé par le Kremlin, atteint parfois des sommets. Ainsi, l’agence officielle Ria Novosti a-t-elle publié le 3 avril le texte d’un philosophe proche du pouvoir, Timofeï Sergueïtsev, chantre d’une vision selon laquelle la Russie est le dernier rempart face à « l’effondrement civilisationnel » occidental. Celui-ci y promeut la nécessaire « dénazification » des Ukrainiens en totalité, réduits à l’idée d’un peuple nazi se divisant entre « nazis actifs » et « nazis passifs ». Dès lors, il justifie par avance le pire : la chasse aux nazis, par définition, ne peut constituer un crime de guerre… « La durée de cette dénazification ne peut en aucun cas être inférieure à une génération », conclut-il.

Ce matraquage des esprits, aujourd’hui directement encouragé par le Kremlin, atteint parfois des sommets

En comparaison, la communication du président ukrainien Volodymyr Zelensky apparaît plus banale : il s’agit simplement de « diaboliser » le plus possible l’ennemi. D’où l’usage par lui et certains de ses proches de l’idée que Moscou procéderait à « un génocide » en Ukraine. Comme si seul un génocide pouvait être réellement condamnable, comme si ce que commettent les forces russes n’était pas en soi suffisamment criminel pour ne pas avoir à user de termes inappropriés.

En attendant, plus l’armée russe accumule les difficultés à élargir son territoire conquis en Ukraine – même dans le Donbass où elle est supposée être en terrain favorable (la région est majoritairement russophone) – et plus le verbe se fait agressif. Le 24 avril, Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de Poutine, parle d’une possible « troisième guerre mondiale ». Depuis, les programmes télévisés sur ce thème se sont multipliés en Russie. Et le 27 avril, Poutine menace de recourir à des armes qu’aucun autre pays ne peut « se vanter » de disposer. À bon entendeur…

On y revient : la Russie n’a agressé personne, c’est elle qui est agressée par des nazis

Quatre jours avant, le général russe Roustam Minnekaïev avait évoqué une prochaine invasion militaire russe de la Moldavie. Puis il avait ajouté ceci : la Russie « est désormais en guerre contre le monde entier, comme lors de la Grande Guerre patriotique », c’est-à-dire celle contre l’envahisseur nazi (1941-1945). On y revient : la Russie n’a agressé personne, c’est elle qui est agressée par des nazis. Dans cette guerre devenue défensive, tous les moyens seraient donc légitimes. Effarés, nous sommes bien forcés de nous interroger : depuis le début de cette crise, Poutine, au-delà de ses mensonges idéologiques, ne nous prévient-il pas chaque fois de ses ambitions ? 

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