Toutes les guerres sont tragiques. Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie ressemble de plus en plus à une « sale guerre », selon l’expression apparue dans les années 1950. Ce qui veut dire que le « théâtre des opérations » ne se limite absolument pas au choc classique de deux armées. Dans la partie orientale de l’Ukraine, Moscou s’emploie méthodiquement à raser les villes et les villages. Son armée kidnappe les maires jugés incompatibles avec sa politique d’annexion. Elle les torture puis les emprisonne en attendant de s’en servir de monnaie d’échange avec le pouvoir ukrainien, comme nous le raconte le grand reporter Olivier Weber. Dans les territoires conquis, le viol est utilisé comme une arme de terreur massive, l’exécution sommaire de civils est avérée. Et partout dans le monde (aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Russie) des oligarques russes sont retrouvés pendus chez eux, non loin de leur famille, tuée à l’arme blanche… Newsweek a recensé pour l’instant six « suicides ».

Dans cette sale guerre, la menace fait partie de la panoplie. Menaces et rétorsions sur l’approvisionnement en gaz et en pétrole dont les pays de l’Union européenne ont besoin. Menaces du feu nucléaire ou de nouvelles armes – « des outils dont personne d’autre ne peut se vanter actuellement », vient d’assurer Vladimir Poutine. Enfin, menace de faire entrer notre planète dans une « troisième guerre mondiale », dixit Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères.

La guerre mondiale n’est plus. Place à la « guerre mondialisée »

Une menace qui ne prend pas en compte la nouvelle équation de ce conflit. Bertrand Badie, spécialiste des questions géopolitiques, souligne dans l’entretien qu’il nous a accordé à quel point cette guerre est inédite. La guerre mondiale n’est plus, explique-t-il. Place à la « guerre mondialisée » qui provoque des conséquences en chaîne. Désordres énergétiques dont on a déjà parlé. Désordres alimentaires qui vont frapper le Moyen-Orient et l’Afrique en les privant des céréales indispensables à leurs populations. Désordres politiques qui amplifient la fracture entre le camp occidental et le reste du monde. La trentaine de pays qui se sont refusés à condamner l’invasion russe à l’ONU représentent, par leur poids démographique, la moitié de la population mondiale, relève le géographe Michel Foucher dans l’analyse que nous publions. Ainsi la Russie est-elle moins isolée que ne se le figure le camp occidental. Quant aux armes, nul ne peut affirmer qu’elles auront le dernier mot. 

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