« Nous croyons triompher, nous sommes en réalité très isolés »
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Lorsque vous évoquez la guerre en Ukraine, vous parlez de « guerre mondialisée ». Qu’entendez-vous par cette formule ?
Par définition, l’histoire ne se répète pas : je suis toujours contrarié par l’abus de formules comme « le retour de la guerre froide », « la nouvelle guerre mondiale », etc. Si on se limite aux ressemblances, on perd la main et l’on ne trouve pas les bonnes solutions. Concernant la guerre en Ukraine, il faut poser le bon diagnostic. Or, les différences entre ce conflit et les guerres d’autrefois sont énormes. Je crois donc utile de tenter une approche nouvelle et de réfléchir en termes de « guerre mondialisée » en m’appuyant sur trois éléments.
D’abord une différence de contexte. Une guerre dans un système international globalisé ne ressemble pas aux guerres interétatiques traditionnelles, car elle implique une inclusion, directe ou non, de tous les acteurs, y compris les plus éloignés. Il faut bien réfléchir à l’exaspération très forte qui règne aujourd’hui dans les pays du Sud face à des conflits nés au nord, dont ils savent qu’ils risquent de payer l’essentiel de la facture.
« Par définition, l’histoire ne se répète pas »
À cet effet d’inclusion s’ajoute un contexte nouveau qui fait passer les dynamiques sociales avant le jeu interétatique classique. On l’a vu, sur un autre plan, ces dernières années, avec les Printemps arabes, l’année 2019 en Amérique latine, voire les Gilets jaunes et les forces de contestation populiste en Europe. Nous avons, de façon inédite, une guerre qui se veut exclusivement politico-militaire côté russe, alors que le paramètre social joue un rôle désormais capital, y compris dans la conduite du conflit. D’où la grande surprise qui en découle : un dictateur comme Poutine ne pouvait pas prévoir que les sociétés seraient plus déterminantes que les armées. On le voit notamment avec l’importance de la résistance ukrainienne, qui ne supporte pas l’idée de l’invasion. On constate à quel point le militaire est réellement défié. La stratégie clausewitzienne fait pâle figure au regard des dynamiques sociales devenues incontrôlables. Kiev 2022 n’est pas Prague 1968.
Le deuxième élément constitutif de la guerre mondialisée tient à la stratégie qui en découle. Les puissances occidentales, qui sont parties prenantes à ce conflit, ont, pour la première fois face à une guerre, inauguré une stratégie de contraint
« Nous croyons triompher, nous sommes en réalité très isolés »
Bertrand Badie
Aux relations mouvantes, les Occidentaux préfèrent les alliances durables. Un fixisme qui représente une faiblesse dans le jeu international, explique le politiste Bertrand Badie.
[Civilisation]
Robert Solé
Les guerres d’aujourd’hui ont besoin de se justifier par un adjectif. À défaut d’être sainte, la guerre est préventive, défensive ou propre, et toujours juste. Preuve que la civilisation a fait des progrès.
Une stratégie de la terreur
Olivier Weber
Reporter de guerre expérimenté, l’écrivain et journaliste Olivier Weber vient de passer trois semaines en Ukraine. Il témoigne des exactions commises par l’armée russe.