Il y a six mois, nous nous interrogions : jusqu’où Marine Le Pen ira-t-elle ? Six mois plus tard, la dynamique des listes d’extrême droite est incontestable, un peu partout en Europe, particulièrement en France. Mais quelques jours avant ce dixième scrutin européen, peut-être le plus important depuis 1979, le temps des conjectures électorales est passé.

Reste une deuxième question, assez malaisante : « Tous fachos ? », qui concerne d’abord l’électorat du RN, mais un peu nous tous aussi. Cette interrogation, nous l’avons posée, en préparant ce numéro, au politiste Vincent Tiberj qui a mis au point l’Indice de tolérance publié par la Commission consultative des droits de l’homme (CNCDH). Ces dernières années, l’ouverture aux autres était au plus haut. Le prochain Indice, qui sera publié au début de l’été, risque de pâtir des émeutes de juin 2023 et de la guerre entre Israël et le Hamas. La réponse de Vincent Tiberj est pourtant tombée sans hésitation : « Tous fachos ? Certainement pas. Mais… »

C’est ce « mais » qui ouvre un débat, et peut-être même une perspective élyséenne pour le RN. Comment notre pays peut-il être saisi d’une telle fébrilité concernant les relations avec nos compatriotes musulmans ? Dans le grand entretien qu’il nous a accordé, l’historien Marc Lazar montre que le phénomène touche toute l’Europe : combinaison d’un haut niveau de défiance, crise sociale et question migratoire. D’ici à l’automne, on comptera peut-être cinq pays (Italie, Hongrie, Pays-Bas, Belgique, Autriche) dirigés par des nationaux-populistes. 

« Tous fachos ? » Le sociologue Félicien Faury relève que nous avons eu tendance à perdre de vue la composante xénophobe du vote RN, l’essentialisation et le rejet agissant comme une réponse illusoire à de graves préoccupations sociales. 

« Tous fachos ? » Certes non, estime la directrice du think tank Destin commun, Laurence de Nervaux, qui montre le gouffre qui sépare un débat public hystérisé par la boucle « réseaux sociaux + télés en continu » et l’opinion souvent nuancée des Français. Un seul exemple : une forte majorité assure vivre en sécurité, mais ressent de plus en plus de violence entre les individus.

Après le vote du 9 juin, auquel sont appelés à prendre part 448 millions de citoyens de 27 pays, les 720 parlementaires européens se prononceront sur la composition d’une nouvelle Commission. Continueront de s’affronter les partisans d’une Europe intégrée et ceux qui la préfèrent réduite aux acquêts des nations. Des échéances déterminantes – la guerre en Ukraine, la réindustrialisation, les défis migratoires et climatiques – permettront, peut-être, de ramener un peu de réel dans des débats hantés par des boucs émissaires.  

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