J’avais 8 ans en 1966. J’étais né à Bône, devenue Annaba après l’indépendance algérienne. Je vivais depuis deux ans dans le 14e arrondissement de Paris et je découvrais l’école primaire en dehors du cocon familial. Un enfant éprouve une confiance naturelle à l’égard des adultes. Et je ne savais pas pourquoi le professeur de gymnastique, un grand gaillard athlétique, me détestait à ce point, en me moquant et me stigmatisant de sarcasmes dont je ne comprenais pas à l’époque le caractère raciste. Il est vrai que nous étions quatre ans après la fin de la guerre d’Algérie…

Si la xénophobie est condamnable, le racisme est un cancer. Il avilit la victime tout en réduisant et enfermant celui qui se croit supérieur. Qui peut réellement penser que l’extrême droite n’est plus antisémite ou ne prolifère pas sur un fonds de commerce de haine et de discriminations antimusulmanes ? Ne comprend-on pas que cela affaiblit la voix et l’image de la France ? Les populations du monde, inspirées par les Lumières, sont stupéfaites de voir tant de Français prêts à voter pour un parti qui viole des principes universels.

L’extrême droite, enfermée dans la pensée magique, ignore le présent

La négation de notre devise républicaine se fait autant par défaut – moins de liberté, moins d’égalité et moins de fraternité – que par excès. L’excès de liberté devient licence, l’égalité est dévoyée en égoïsme, la fraternité mute en une promotion tribale. Le racisme des extrémistes est autant cause que conséquence de leur projet funeste. À l’heure où la crainte du différent et la tentation de l’entre-soi poussent à rechercher des regroupements tribaux avec des « semblables » qui ne le seront jamais vraiment, la connaissance de l’autre, même s’il semble étranger, procède à la fois de l’impératif catégorique moral et de l’intérêt politique bien compris de chacun.

Pour Albert Camus, « l’État peut être légal, mais il n’est légitime que lorsque, à la tête de la nation, il reste l’arbitre qui garantit la justice et ajuste l’intérêt général aux libertés particulières ». Je ne me résous pas, avec toute l’humilité possible, à ce que notre pays et l’Europe ne soient plus un espace de réflexions politiques, culturelles et spirituelles, au bénéfice de tous. Un dialogue ouvert, sincère et respectueux, doit chercher ce qui unit plutôt que ce qui sépare, tout en identifiant les différences, pour les clarifier sans les nier.

La situation internationale actuelle brûlante, avec de multiples répercussions nationales dans tous les pays, n’aide pas à ce genre de démarche. La complexité croissante du monde, la faillite des grandes idéologies et l’évanouissement de clivages que l’on croyait fondateurs et éternels nous interpellent et risquent de conduire à un état croissant de violences absurdes. 

Les problèmes actuels sont trop graves pour être ignorés ou sous-estimés. Parmi ceux-ci, la situation des musulmans en France doit être comprise de manière mature et sans a priori dogmatiques. L’islam est mal connu et a trop souffert d’un imaginaire d’exclusion réciproque avec l’Occident, les intolérances se nourrissant des ignorances. Ici, extrémistes et intégristes se rejoignent, cultivant et diffusant préjugés, stéréotypes et peur de l’autre, participant à la suspicion systématique et à la défiance.

Les droits fondamentaux des êtres humains, la sécularisation des personnes, l’importance de la laïcité ou l’apport des sciences humaines et sociales sont des sujets essentiels des sociétés plurielles et multiconfessionnelles. Face à ces défis, nous devons favoriser les réseaux d’information, de communication et d’entraide. Les formateurs et les médias sont déterminants et ne doivent être ni caporalisés ni abandonnés. Pourquoi les médias ne parlent-ils d’islam et de musulmans que lors de faits divers ? N’y a-t-il pas de manifestations culturelles, intellectuelles, artistiques ou philosophiques portées par ce quart de l’humanité ? Cette spiritualité n’a-t-elle pas aussi des subtilités et des vérités profondes dignes d’intérêt ?

Aujourd’hui, c’est le monde entier que nous devons comprendre

À l’école primaire, j’avais appris que l’Europe, c’était « la France en grand ». Aujourd’hui, c’est le monde entier que nous devons comprendre. Pour être plus forts, pour rayonner. Car ne pas voir que j’ai besoin de l’autre, qui loin de me diminuer, m’enrichit, est non seulement immoral, mais suicidaire.

Les Japonais ont une manière délicate de célébrer le plaisir du moment, comme la beauté de l’instant fugace des cerisiers en fleur. C’est un temps à apprécier, ou plutôt un moment simple de bonheur parfait à saisir, appelé ichigo ichie, avec quatre émotions primordiales : la Colère, qui appartient au passé, alimentée par un mauvais souvenir ; la Tristesse, aussi tournée vers hier, nourrie par la perte ou le rappel du deuil ; la Peur, qui anticipe une mauvaise expérience du futur ; et enfin la Joie, seule émotion positive, résolument ancrée dans l’instant présent.

« Là où il n’y a pas d’espoir, nous devons l’inventer », disait Camus, à nouveau. L’enjeu démocratique n’a jamais été aussi vif. Les difficultés ne doivent pas servir à attiser les vents mauvais des haines, sans résoudre les problèmes de ceux qui se sentent exclus, déclassés ou non représentés. Les jeunes y sont particulièrement sensibles, devenant plus conservateurs que leurs aînés, de manière d’autant plus malheureuse que l’extrême droite, enfermée dans la pensée magique, ignore le présent. Son discours n’est que déclinisme, diatribes racistes alimentées par la Colère et la Tristesse d’un passé mythifié, avec la Peur d’un futur menacé par ces métèques qui veulent le corrompre. Pourtant, c’est la Joie, ancrée dans l’instant présent, qui peut éclairer notre voie, celle d’une France fidèle à ses principes républicains et ouverte sur le monde. 

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