Qu’est-ce qu’une rhétorique populiste ? C’est un aller-retour entre le populiste et le peuple, la promesse de dire ce qu’est le peuple, et ce qu’il veut. C’est une manière de dire : « Je sais qui est le peuple. J’en fais partie. Et je vais vous dire ce qu’il pense : il pense comme moi. »

Mais de quel peuple le populiste parle-t-il ? En grec, il y a trois manières de dire le « peuple » : ethnos, qui renvoie à l’ethnie ; laos, qui désigne le peuple en guerre ; et demos, plus difficile à cerner, qui signifie globalement le peuple qui va voter, qui va suivre un état de droit – le peuple de la démocratie. 

On ne peut pas restreindre l’usage populiste de la langue à l’extrême droite

Bien évidemment, le populiste n’aura pas la même rhétorique selon le peuple qu’il vise. Il y a des populistes de droite, de gauche et du centre, qui jouent sur des registres différents. Certains populistes de gauche s’adressent au peuple comme demos. L’extrême droite, elle, se concentre sur l’ethnos. Elle se définit en tant qu’ethnie française, et résume le peuple à cette ethnie. Elle fait comme si l’appartenance ethnique était l’évidence même pour le peuple, comme si un Français ne pouvait pas être autre chose qu’un Français – c’est-à-dire : pas un immigré. « Vous êtes français, comme moi, c’est l’évidence, dit-elle. Je sais ce que vous êtes et ce que vous voulez, parce que je suis exactement comme vous. Voter pour moi, c’est voter pour vous. »

Mais pour réussir à convaincre avec une rhétorique populiste, encore faut-il être un orateur. Personne, dans l’extrême droite française d’aujourd’hui, ne s’illustre dans cet art. Prenez le récent débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella. Vous avez, d’un côté, un technocrate qui affiche un petit rictus de supériorité – ce qu’il ne faut jamais faire lorsque l’on essaie de convaincre, nous disent Cicéron et Aristote – et, de l’autre, quelqu’un qui se cache et qui ne dit rien, de peur de faire une bourde. Dans un autre débat opposant les différents candidats aux élections européennes, Marion Maréchal, elle, perd complètement le contrôle de son discours lorsqu’elle est prise d’une sorte de « bouffée d’angoisse » en parlant de l’immigration, brisant son apparence de normalité pour laisser échapper son vrai sentiment. 

On est bien en deçà de la « rhétorique » à proprement parler, car ils sont bien en peine de « convaincre » qui que ce soit. 

Un discours populiste est toujours incarné, il y a une voix, et une voie que l’on suit

On retrouve toutefois dans leurs discours quelques éléments typiques d’une rhétorique populiste. L’incarnation, d’abord. Un discours populiste est toujours incarné, il y a une voix, et une voie que l’on suit, un « Führer ». Il y a également un ton de voix, un rythme, une scansion particulière : il faut se montrer fort, décidé, être un vrai « conducteur ». Il faut désigner un ennemi commun, un bouc émissaire, en l’occurrence les immigrés. Or, en politique, parler c’est faire exister quelque chose. Dire, c’est faire ! En répétant, en martelant à longueur de journée que le migrant est l’ennemi, il le devient. 

Mais le plus inquiétant, ce sont les éléments de langage. La notion elle-même est fondamentalement populiste. Lorsqu’elle assistait au procès du nazi Adolf Eichmann, Hannah Arendt s’étonnait de l’entendre parler uniquement par idées reçues. Sa langue allemande était entièrement vidée de son sens et du poids des mots pour être remplacée par des notions toutes faites, des éléments de langages répétés à tort et à travers. Ces éléments de langage ont permis de diffuser l’idéologie nazie à travers la langue elle-même, jusque dans son usage quotidien – c’est ce qu’analyse Viktor Klemperer dans LTI, la langue du IIIe Reich. 

On ne peut pas restreindre l’usage populiste de la langue à l’extrême droite

Aujourd’hui, le recours aux éléments de langage est largement répandu, et ce, de manière très inquiétante, dans tous les partis – les politiques sont devenus des communicants. On ne peut pas restreindre l’usage populiste de la langue à l’extrême droite. C’est le champ politique entier qui s’en rend coupable. Et c’est peut-être ce qui explique pourquoi l’extrême droite est si banalisée aujourd’hui. 

Alors, comment lutter contre les éléments de langage ? Comment se déprendre de ce qu’on entend ? Par le jugement. Hannah Arendt le répète : le jugement est la faculté politique par excellence. Je cite souvent cet exemple de Nelson Mandela, confronté à un musée atroce, réalisé sous l’apartheid, qui dépeignait les peuples premiers comme des inférieurs. Que fait-il ? Il place tout simplement au milieu du musée une pancarte où est inscrit : « Que pensez-vous de ce que vous voyez ? » 

Conversation avec L.H.

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