Speak white
il est si beau de vous entendre
parler de Paradise Lost
ou du profil gracieux et anonyme qui tremble
dans les sonnets de Shakespeare

nous sommes un peuple inculte et bègue
mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue
parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
speak white
et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse
que les chants rauques de nos ancêtres
et le chagrin de Nelligan (...)

speak white
tell us that God is a great big shot
and that we’re paid to trust him
speak white
parlez-nous production profits et pourcentages
speak white
c’est une langue riche
pour acheter
mais pour se vendre
mais pour se vendre à perte d’âme
mais pour se vendre

ah ! speak white
big deal
mais pour vous dire
l’éternité d’un jour de grève
pour raconter
l’histoire de peuple-concierge
mais pour rentrer chez nous le soir
à l’heure où le soleil s’en vient crever au-dessus des ruelles
mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui
chaque jour de nos vies à l’est de vos empires
rien ne vaut une langue à jurons
notre parlure pas très propre
tachée de cambouis et d’huile (...)

Extrait de Speak white, 1968

« Speak White », intimaient avec mépris les Canadiens anglophones à leurs compatriotes francophones. En 1968, la poétesse et dramaturge Michèle Lalonde se saisit de cette insulte pour un poème emblématique de la lutte indépendantiste québécoise. Brandissant un français métissé contre la langue du dollar. 

 

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