Chacun, chacune de nous a forcément sa petite idée sur ce qu’elle est, ou n’est pas. « La fraternité, écrivait Régis Debray dans son essai Le Moment Fraternité, paru en 2009, c’est ressentir l’atteinte à la dignité de l’autre comme mienne. Le collectif ne se conduit pas comme une personne. Ce n’est pas une addition de moi qui fait le nous. » Par ces quelques phrases, le philosophe doublé, selon sa propre expression, d’un « candide à sa fenêtre », exprimait ce qui donne sans doute à la fraternité son caractère le plus révolutionnaire. On pourrait dire en caricaturant un peu, ou seulement en forçant les mots, faute de pouvoir forcer les choses, que la liberté et l’égalité sont des droits, et que la fraternité relève plutôt du devoir. Un devoir distendu dans nos sociétés individualistes par trop tournées vers les ego. Un devoir qui aurait un penchant trop prononcé à se changer en vœu pieux, Cynthia Fleury citant dans le grand entretien qu’elle nous a accordé la formule cruelle de Louis Althusser : la fraternité, avec son horizon désincarné, relèverait plutôt de « l’Internationale des bons sentiments ».

Il est pourtant utile de rappeler la sacralité et l’universalité qui subsistent dans cette notion de fraternité, sacralité venue de ses origines religieuses, universalisme né de sa traduction laïque. Ainsi la fraternité transcende la simple solidarité ou encore ce qu’on appelle le care, « que l’on peut traduire par le "prendre soin, la sollicitude, le souci de l’autre" et qui se positionne d’emblée "hors d’une sacralité" », observe Cynthia Fleury.

Comme la liberté et l’égalité, la fraternité est changeante selon les époques et les latitudes. L’ubuntu sud-africain, une notion qui inspira la nation arc-en-ciel de Nelson Mandela sur fond de réconciliation post-apartheid, a certes passé de mode avec la persistance des inégalités, là comme partout ou presque dans le monde. Mais la fraternité n’a pas disparu dans les oubliettes de l’histoire. Elle renaît pour certains, et d’abord pour certaines, avec le mot sororité dont la simple sonorité heurte les oreilles des plus conservateurs. Ou de ceux qui y voient un concept excluant, arguant que si la fraternité a toujours inclus les femmes, la sororité exclut les hommes – c’est pourtant un homme, l’artiste Pierre di Sciullo, qui, illustrant nos trois numéros sur la devise républicaine, a ajouté cette notion de sororité. Aussi longtemps qu’on débattra de cette question, il y aura encore à espérer de notre humanité. 

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