L’urgence d’accueillir
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Après deux mois de confinement sans se quitter, dire au revoir à Kola a été compliqué pour tout le monde, surtout pour nos trois enfants de 7, 9 et 11 ans. Ils ne comprenaient pas qu’il doive partir maintenant, ils disaient : « Mais il peut rester deux semaines de plus, ou un mois ! » Mon mari Baptiste, et moi leur avons expliqué que le réseau JRS marche comme ça, avec un changement de famille d’accueil toutes les quatre à six semaines en temps normal.
Nous leur avons surtout dit que, quand il s’est installé chez nous le 16 mars au soir, le jour de l’annonce du confinement, nous avons accueilli un migrant, quelqu’un qui avait besoin d’un toit. Maintenant qu’il est parti, c’est à lui de décider s’il veut venir dîner ou discuter un après-midi. Quand il reviendra désormais, ce sera en ami.
Kola a 22 ans. Il vient de Guinée-Conakry et est arrivé par la Libye et l’Italie. Cela fait un an et demi qu’il est en France. Nous avions déjà accompagné des migrants au sein de JRS, sans les héberger. Peut-être sommes-nous tombés sur une perle, mais il n’y a jamais eu un moment de tension, ni avec lui ni entre nous au sujet de sa présence. Nos relations étaient fluides. Pourtant, tout n’a pas été facile pour Kola : en temps normal, les migrants accueillis quittent la maison la journée et vont à Lyon pour faire leurs démarches administratives ou pour voir leurs amis. Lors du confinement, il a eu du mal à renoncer à toutes ces sorties. Quand le gouvernement a annoncé sa prolongation, nous l’avons vu se décomposer un peu.Cette idée d’accueillir un demandeur d’asile, nous l’avions en tête depuis longtemps déjà. C’est pourquoi nous avons fait construire la maison dans laquelle nous vivons depuis un an, à côté de Lyon, avec une chambre en plus. Nous en avons parlé à nos enfants, qui étaient eux aussi d’accord, mais nous tardions à franchir le pas. Le week-end avant le confinement, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait urgence, et l’urgence n’attend pas toujours que l’on soit prêt.
Nous avons contacté JRS le lundi 16 mars au matin en leur disant que nous pouvions accueillir tout de suite une personne. C’était une manière pour nous de faire quelque chose d’utile, alors que nous nous sentions impuissants face au virus. Notre proposition tombait à pic. Un couple s’estimait un peu âgé pour l’accueillir pendant le confinement : nous avons donc reçu Kola le soir même.
Avoir de jeunes enfants a énormément facilité son accueil. Ils sont immédiatement allés à sa rencontre, et il les a d’emblée bien accueillis. Nous, nous avons appris à le connaître pendant les repas. J’ai été impressionnée par sa faculté à percevoir très vite le rythme du lieu où il était, et à s’adapter aux besoins de ce rythme. Rapidement, il a participé à mettre le couvert, il a proposé de préparer les repas, il a compris que chez nous le téléphone était interdit à table. Après le repas, nous avions pris l’habitude de jouer une demi-heure aux dominos ou à d’autres jeux avec les enfants. Kola s’est aussitôt joint à nous. Le soir, la tisane était l’occasion de longues conversations sur son périple pour arriver en France et sur la vie en Guinée.
Notre jardin est devenu son espace de liberté. Il savait déjà comment travailler la terre puisqu’il a passé un an dans les champs en Italie avant d’arriver en France – il aimerait d’ailleurs se former pour devenir horticulteur, une fois ses papiers obtenus. Notre parti pris a toujours été de le laisser faire comme il voulait. Nous nous sommes rendu compte qu’il aimait beaucoup couper les arbustes : certains thuyas avaient une drôle de tête à la fin du confinement ! Tant pis, c’est aussi le jeu, et nous ne sommes pas accrochés à l’esthétique de notre jardin. Nous l’aidions le week-end. Ensemble, nous avons retourné la terre, planté du gazon, lancé la saison du potager et regardé pousser ce qu’on avait planté. Le jardin a été un endroit merveilleux pour susciter des rires et nouer une complicité.
Nous avons donné sans rien attendre en retour, si ce n’est que Kola aille bien, mais nous avons beaucoup reçu. Dire cela n’a rien d’un cliché. Au collège, je donne un cours sur les migrations aux élèves de 4e et je me rends compte que je ne pourrai plus l’enseigner de la même façon. Je vais essayer d’accueillir des migrants dans ma classe, comme on peut accueillir des gens qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale. J’ai aussi envie de renverser le regard. Dans nos programmes, quand l’Afrique est mentionnée, c’est pour parler des pauvres. Je m’efforcerai désormais de chercher des exemples positifs pour montrer aux élèves une autre réalité.
La religion a été un autre pont marquant entre nous. Nous sommes chrétiens, Kola est musulman : il a fêté Pâques avec nous et nous avons fait la rupture du jeûne du ramadan avec lui. Cette période passée tous les six ensemble a apporté à chacun de nous une ouverture sur le monde et un décentrement. Je pense que nous hébergerons à nouveau d’autres migrants. Les enfants en ont très envie. De notre côté, nous avons réalisé que ce n’était pas si compliqué.
Conversation avec Martin Delacoux
Illustration Stéphane Trapier
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