Qui est l’Étranger ? Depuis sa parution en 1942, le roman de Camus, traduit en quarante langues et, aujourd’hui encore, le plus gros succès commercial de la maison Gallimard, n’a cessé de raviver cette question dans l’esprit de ses millions de lecteurs à travers le monde. De Sarraute à Blanchot, de Robbe-Grillet à Barthes, sans oublier Sartre, dont l’« Explication de L’Étranger » proposée dans Les Cahiers du Sud est restée la plus célèbre, les commentateurs se sont attelés à déchiffrer le mystère Meursault, personnage central du roman de Camus. Tant d’encre a coulé au sujet d’une énigme que ce dernier semble pourtant avoir résolue d’une seule phrase, dans ses Carnets : « L’Étranger décrit la nudité de l’homme face à l’absurde. » Derrière son apparente simplicité, cette description condense toute l’ambivalence d’une figure littéraire et philosophique souvent en partie incomprise.

Cette « nudité » de l’homme désigne d’abord un dénuement face à la prise de conscience brutale de l’absurdité de notre condition. L’étrange comportement de Meursault, qui laisse les phénomènes le frapper continuellement tel le ressac de la vague sur le rocher, traduit le fait que, ayant renoncé à trouver un sens à un monde et à une existence en son sein qui n’en ont aucun, il n’a plus les moyens d’ordonner ses perceptions de manière signifiante, mais seulement de les recevoir passivement. Le cérémonial social dont nous revêtons nos expériences (les funérailles qui suivent le décès de la mère, ou le fait de nommer son désir de l’autre « amour » et de le consacrer par les liens sacrés du mariage) n’est, aux yeux décillés de Meursault, qu’une vaine tentative de recouvrir d’un sens et d’une valeur prétendument objectifs des situations qui, dans l’absolu, n’ont d’autre signification que celle qu’on veut bien leur inventer. Tel le travailleur frappé par l’absurde dans Le Mythe de Sisyphe, le protagoniste de L’Étranger est celui devant qui « les décors s’écroulent ». Celui chez qui la mécanique bien huilée du quotidien métro-boulot-dodo s’est enrayée au contact corrosif du pourquoi, de la recherche de sens condamnée à toujours rentrer bredouille. « Dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent un étranger », parce que son besoin viscéral de trouver une raison à tout ce qui est, une signification à tout ce qui lui arrive, bute systématiquement sur le silence têtu du monde. « Ça

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