Nucléaire, éolien, photovoltaïque… Quel que soit le mix choisi, la France devra réduire sa consommation énergétique et mettre fin aux hydrocarbures pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Depuis 2003, l’association négaWatt produit des scénarios sur le sujet, qui parient à la fois sur la sobriété et l’efficacité. Objectif : atteindre une consommation électrique totale de 530 térawattheures (TWh) par an – un chiffre proche de celui du scénario le plus sobre annoncé la semaine dernière par RTE (Réseau de transport d’électricité). À quoi ressemblerait cette France de 2050 ? Voyage prospectif dans la société de sobriété.

Logements, commerces, bureaux, entrepôts... des bâtiments plus économes

Entre le chauffage, les appareils électriques ou encore l’éclairage, le bâtiment représente à lui seul 40 % de la consommation d’énergie en France. Et la plupart des bâtiments qui existeront en 2050 sont déjà construits. La principale mesure consistera donc à isoler et rénover ces locaux selon la norme BBC (bâtiment basse consommation) – ce qui permettra, au passage, de réduire les situations de précarité énergétique et de créer des emplois non délocalisables. La climatisation inutile, le chauffage fenêtres ouvertes ou l’éclairage de bureaux vides appartiendront à l’histoire ancienne, tout comme le fait de laisser les appareils branchés alors qu’ils sont en veille.

Les nouveaux bâtiments, pour leur part, seront construits avec des matériaux qui demandent moins d’énergie à produire que leurs prédécesseurs, comme des isolants à base de plantes plutôt que du polystyrène ou de la laine de roche. Le bois (re)deviendra roi : entre les charpentes, huisseries, structures et isolations, il représentera 15 % de la masse totale des matériaux, contre 7 % en 2015.

Côté chauffage, « les pompes à chaleur très performantes se développeront un peu partout. Pour la même quantité d’énergie investie, elles permettent de produire quatre à cinq fois plus de calories qu’une chaudière au gaz performante », explique Stéphane Chatelin, directeur de l’association négaWatt.

En ville, l’étalement urbain aura ralenti. Les résidences individuelles seront moins nombreuses, ce qui évitera de construire du neuf, et les maisons individuelles ne représenteront plus que 20 % des logements nouvellement construits (contre 46 % en 2015). Les urbanistes leur préféreront de petits immeubles de deux ou trois étages, disposant d’une buanderie commune et de chambres d’amis partagées. Objectif : gagner de l’espace et diminuer le nombre de lave-linge qui s’ennuient dans les garages.

Alors que le nombre d’habitants par logement a tendance jusqu’ici à baisser, en raison des divorces et de l’isolement des personnes âgées, le développement de la colocation et des cohabitations intergénérationnelles permettra de stabiliser les choses : la surface par habitant s’établira à 41 m2 en moyenne, comme en 2020. Bonus non négligeable : les hectares de sol ainsi épargnés par l’étalement urbain seront autant de champs et de forêts qui absorberont du CO2 lors de la croissance de leurs végétaux.

« Nous imaginons aussi une rationalisation des équipements numériques : plutôt que de disposer de plusieurs équipements indépendants par personne, le foyer est équipé d’une unité centrale commune, à laquelle sont connectés tous les terminaux : ordinateurs, tablettes, écrans de télévision… », poursuit Stéphane Chatelin. Le streaming existera toujours, malgré l’énergie qu’il exige, mais « la course à la haute définition » se calmera.

Agriculture : moins de bétail et moins de labours

L’agriculture française consomme relativement peu d’énergie en 2020 mais produit une grande quantité de gaz à effet de serre. Premier changement majeur trente ans plus tard : tous les efforts auront été menés pour éradiquer le gaspillage alimentaire, qui représente aujourd’hui 20 % à 40 % des denrées mises sur le marché. 

Dans les assiettes, la quantité de viande sera divisée par deux – l’élevage est en effet responsable d’environ 5 % des émissions de gaz à effet de serre du pays. Le cheptel qui subsistera sera élevé en plein air plutôt qu’en élevage intensif. « Cela permet d’une part d’améliorer les conditions d’élevage – supprimer les cages pour les porcs et les poules, multiplier par deux l’élevage en prairie –, et, d’autre part, de réduire les émissions de méthane, issues essentiellement de la digestion des ruminants. » Puisque vaches et bœufs se nourriront à nouveau d’herbe, la France n’importera plus de soja sud-américain pour alimenter le bétail.

Les pratiques culturales vont elles aussi évoluer : de nombreuses fermes basculeront en bio ou en agroécologie, encouragées par le fait que les agriculteurs seront désormais rémunérés pour les « services environnementaux rendus ». L’utilisation d’engrais et de pesticides de synthèse, dont la fabrication exige de grandes quantités d’énergie, chutera de respectivement 51 % et 73 %. De son côté, le sol, cet immense réservoir naturel de carbone, sera de moins en moins labouré afin d’éviter le rejet de CO2 dans l’atmosphère.

Transports : moins de kilomètres, plus d’efficacité

Les transports en France représentent en 2020 le premier secteur en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Trente ans plus tard, le nombre de trajets internationaux aériens aura été divisé par deux, pour revenir à son niveau des années 1990. « Déjà parce qu’il s’agit du mode de transport le plus inégalitaire : la majorité des Terriens n’a jamais pris l’avion et ne le prendra jamais, justifie Stéphane Chatelin. Et aussi parce qu’il existe peu de carburants d’origine renouvelable dans ce secteur – l’avion à hydrogène n’est pas une technologie suffisamment mature. » La publicité pour l’avion sera interdite, tandis qu’une éco-contribution sur les billets et une taxe sur le kérosène renchériront le prix des trajets.

Globalement, le nombre de kilomètres parcourus baissera de 16 % par rapport à 2015. La massification du télétravail fera chuter les déplacements domicile-travail, tandis qu’un nouvel aménagement du territoire permettra de « rapprocher » les zones résidentielles des espaces de commerce et d’activités. Les véhicules thermiques (essence ou diesel) auront disparu en 2035 et les autres rouleront de façon optimisée. « Les camions sont mieux remplis et les voitures embarquent plus de passagers grâce au covoiturage, expose Stéphane Chatelin. Surtout, la motorisation est plus efficace : à partir d’une même quantité d’énergie, les véhicules électriques parcourent entre 2 et 2,5 fois plus de kilomètres que les véhicules thermiques. » En 2050, 59 % du parc sera électrique, 37 % hybride et 4 % roulera à l’hydrogène.

Mais la voiture a de la concurrence : alors qu’elle assurait 65 % des kilomètres parcourus en 2015, ce chiffre descendra à 49 % en 2050. À l’inverse, la part des distances en train fera plus que doubler, tout comme l’utilisation des transports en commun en ville, qui représenteront 18 % des kilomètres parcourus – contre 8 % en 2015. Le vélo, lui, permettra de parcourir cinq fois plus de kilomètres qu’en 2015, grâce à des investissements massifs dans les infrastructures cyclables. Sur les autoroutes, la vitesse sera limitée à 110 km/h, ce qui économisera 25 % de carburant et allongera le temps de parcours de 8 minutes pour un trajet de cent kilomètres.

Le transport de marchandises fera aussi sa grande mue : le rail représentera 41 % des kilomètres parcourus par le fret, presque quatre fois plus qu’en 2015, tandis que la part des kilomètres parcourus par voie fluviale aura triplé, passant de 2 à 6 % du total. Côté carburants, le parc des poids lourds basculera vers le gaz renouvelable (74 % en 2050), l’hydrogène (14 %) et l’électricité (12 %).

Biens de consommation : réparables, garantis et recyclés

En vertu du principe « zéro gâchis », le jetable n’existera plus. Les bouteilles en verre seront de nouveau consignées, ce qui permettra d’en réutiliser la moitié plutôt que de les envoyer au recyclage. Les emballages, réduits au strict minimum, seront massivement réutilisés – 45 % pour l’acier, 70 % pour le bois, 80 % pour les boîtes en plastique…

En matière d’électroménager, la tendance sera au « moins d’objets, et pour plus longtemps ». Les sèche-linge n’équiperont plus qu’un foyer sur cinq – au lieu d’un sur trois en 2020 – et une partie d’entre eux serviront à plusieurs ménages en même temps, tout comme les lave-linge. La généralisation du coworking permettra de diminuer le nombre d’imprimantes et autres équipements de bureau, tandis que l’autopartage contribuera à réduire le nombre de voitures en circulation.

Chacun de ces appareils s’avérera aussi plus durable : la plupart seront produits en écoconception, de façon à être facilement réparables. Les garanties légales seront plus longues et les fabricants auront l’obligation de fournir des pièces détachées durant dix ans. Sur les appareils, un étiquetage apportera des informations de durabilité au consommateur, indiquant « le taux de matières recyclées qu’ils contiennent, leur degré de recyclablité et la quantité d’énergie qui a été nécessaire pour les fabriquer », détaille Stéphane Chatelin.

Du côté des industries, on produira moins de ciment, d’acier ou de plastique, en répercussion de la demande qui aura baissé dans les secteurs du bâtiment, des transports ou encore de l’emballage. Trois quarts de l’acier utilisé proviendra du recyclage, tout comme la moitié du plastique et du caoutchouc. Pour tourner, les machines auront abandonné les énergies fossiles au profit de l’électrique, avec là aussi « 2 à 2,5 fois plus de puissance pour la même quantité d’énergie utilisée », précise Stéphane Chatelin. 

 

Sources : La sobriété, pour une société plus juste et plus durable, association négaWatt, 2017 ; Synthèse du scénario négaWatt 2022, association négaWatt, 2021 ; Scénario négaWatt 2011-2050 : hypothèses et méthode, association négaWatt, 2014 ; entretien avec Stéphane Chatelin, directeur de l’association négaWatt.

 

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