Les crises sont des accélérateurs de conscience. Ce que l’on pressentait est soudain placé sous une loupe puissante. Ceux qui courent avec des montres connectées ou qui contrôlent le nombre de leurs pas sur leur smartphone, ceux qui acceptent les cookies sans les regarder, ceux plus rares, mais en nombre croissant, qui commandent le séquençage de leur ADN sur ­Internet, tous consentent à une exploitation de leurs données personnelles dont les enjeux leur paraissent nébuleux. Plus ­largement, chacun se doute d’être espionné via ses mails ou les assistants personnels (Siri et autres). Mais, pense-t-on, tant qu’il ne s’agit que de ciblage commercial, l’avantage prime. De la même façon, nombre de médecins considèrent le traçage électronique comme indispensable au contrôle de l’épidémie de Covid.

Une réalité s’impose néanmoins : la servitude volontaire domine nos vies. Le panoptique imaginé à la fin du xviiie siècle par Jeremy Bentham, cette prison circulaire d’où un surveillant peut tout voir sans être vu, décrit par Michel Foucault en 1975 comme une métaphore de la société de contrôle, est aujourd’hui l’apanage de l’intelligence artificielle. On connaît la variante américaine du système : les géants du numérique, partis à l’assaut de la santé et de la finance, projettent de verser leur connaissance quasi prédictive des individus dans des systèmes d’assurances à la carte. On découvre sa variante chinoise : le comportement quotidien des citoyens scanné et analysé à travers des centaines de paramètres afin de leur attribuer une note sociale. Que la sanction soit financière ou disciplinaire, les lignes se rejoignent : surveiller et punir !

Conscients des effets vertigineux de l’IA, les informaticiens sont parmi les plus fermes opposants au traçage. L’affaire Snowden a montré que les robots ont démultiplié les capacités d’espionnage de la NSA américaine. Le scandale ­Cambridge Analytica a mis en évidence le péril que les réseaux sociaux font courir à la démocratie. En apparence, tout est organisé pour le meilleur des mondes. Le Big Brother oppressif de George Orwell a muté en Big Mother prenant soin du bien-être de ses « clients » : vivre vieux, en bonne santé, traquer les cellules malignes et les individus dangereux.

En réalité, les effets cliquet de l’hypersurveillance ont déjà bouleversé nos sociétés : après les longues années de lutte antiterroriste, qui imagine se passer des caméras de surveillance (bientôt trois milliards « d’yeux puissants » en Chine), des drones, de la reconnaissance faciale ? En 2002, adaptant une nouvelle de Philip K. Dick datant de 1956, Steven Spielberg racontait dans Minority Report un monde où des esprits doués de précognition permettaient d’arrêter les criminels avant qu’ils passent à l’acte. Plus près de nous, la série Black Mirror explore les heures sombres de la haute technologie. L’avenir a commencé, depuis longtemps. 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !