« Les prendre en considération plutôt qu’en pitié... »
EntretienTemps de lecture : 3 minutes
Comment porter un autre regard sur la misère ?
Quand on est à la rue, les passants ont un regard fuyant. Dans la société, nous ne sommes pas régis par notre identité, mais par les normes sociales. Quand on est en bas de l’échelle, on n’est pas considéré. En proposant un média en accès libre qui raconte l’histoire de la misère autrement, nous souhaitions parler des problématiques mais aussi des solutions, faire en sorte que les lecteurs passent à l’acte et osent enfin aller à la rencontre de ces invisibles. Nous sommes trop souvent imprégnés d’idées reçues à leur sujet : on croit que c’est leur faute, que le fait de ne pas comprendre l’histoire préserve… et que la partager rend complice. Et puis les Français ont peur de tomber dans la misère.
Quel est pour vous le visage de la misère, aujourd’hui en France ?
La misère ne cesse d’augmenter. On comptait 142 000 sans domicile fixe en 2012 en France, les choses se sont aggravées depuis [la préfecture de Paris a récemment déclaré porter secours de manière régulière à 80 000 personnes]. Et nous devons aussi nous inquiéter de la hausse du nombre de nouveaux pauvres et de nouveaux précaires. D’autant que le manque d’argent n’explique pas tout : le manque de culture, d’éducation, de tissu relationnel sont autant de facteurs susceptibles de jouer. La misère ne peut d’ailleurs plus se réduire à ceux que l’on qualifiait de « clochards » ou de marginaux dans les années 1980. Aujourd’hui, ce n’est plus la même population et la misère a plusieurs formes, plusieurs visages, elle touche plus de monde et résulte de différents types de traumatisme : de celles ou ceux qui connaissent des difficultés depuis le plus jeune âge aux personnes qui sombrent du fait de la perte de leur emploi, d’une séparation, d’une dépression, en passant par les jeunes qui n’ont pas d’argent, ceux dont la famille refuse les choix sexuels ou autres… Paradoxalement, ces personnes sont très fortes. Leur taux de suicide est bas. Elles ne sont plus dans la vie, mais dans la survie… Même si la moyenne d’âge des personnes qui décèdent dans la rue est de 49 ans.
Comment vos interlocuteurs parlent-ils de la misère ?
Ils ne parlent pas réellement de leur condition. Ils insistent plus souvent sur le manque de relation avec les gens alors qu’un simple bonjour ou un sourire symbolisent beaucoup pour eux. Il nous faut prendre conscience que les bonnes actions que nous faisons parfois spontanément ne sont pas adaptées à leurs besoins. Le tout est de les prendre en considération et pas en pitié, de construire une relation qui dépasse le rapport aidant-aidé…
Propos recueillis par ANNE-SOPHIE NOVEL
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Entre le début de vos recherches sur la grande pauvreté en 1980 et aujourd’hui, une différence vous frappe-t-elle ?
Rien ne change… Non seulement rien ne change, mais des aspects ont empiré. La présence de ces personnes dans nos rues, c’est le retour du même, du refoulé.<…
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