Quotidienne

Quelles conséquences de la crise ukrainienne sur l’élection présidentielle ?

Vincent Martigny, politiste

En monopolisant l’attention de l’opinion, l’actualité internationale neutralise les attaques sur la politique intérieure d’Emmanuel Macron et pourrait se révéler favorable au président sortant.

Quelles conséquences de la crise ukrainienne sur l’élection présidentielle ?

La crise ukrainienne peut-elle rebattre les cartes de l’élection présidentielle ? Quelques jours après l’annonce de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et à un mois et demi du scrutin, beaucoup s’y emploient.

Il y a ceux qui critiquent le président de la République pour l’échec de sa tentative de médiation avec la Russie. Valérie Pécresse et Marine Le Pen sont de celles-là. Elles ont dénoncé les « mises en scène » et « l’initiative solitaire » d’Emmanuel Macron dans la crise, illustrant selon elles sa volonté d’utiliser la situation internationale à son profit.

En face, les soutiens du président en appellent pour leur part à « l’union sacrée » derrière lui, alors que la paix en Europe est menacée. Ils ont été rejoints dans cette posture par un allié inattendu : le maire de Béziers Robert Ménard, soutien de Marine Le Pen, déclarait vendredi matin sur CNews être « derrière le chef de l’État » dans cette circonstance exceptionnelle.

La situation ukrainienne est l’occasion de grands règlements de compte chez les concurrents d’Emmanuel Macron

Mais surtout, la situation ukrainienne est l’occasion de grands règlements de compte chez les concurrents d’Emmanuel Macron.

À gauche, Anne Hidalgo et Yannick Jadot reprochent à Jean-Luc Mélenchon sa doctrine du non-alignement en politique étrangère, qui l’a conduit à afficher une complaisance de longue date envers Moscou.

Et tous les candidats accablent Marine Le Pen et Éric Zemmour pour leurs accointances avec le chef du Kremlin. On se souvient en effet que ces deux-là ont été les infatigables défenseurs de Vladimir Poutine – Zemmour rêvait même à voix haute d’un « Poutine français » dans un entretien à L’Opinion en septembre 2018, devenu viral sur les réseaux sociaux. Ils sont aujourd’hui contraints de faire volte-face pour ne pas apparaître comme les complices d’une puissance hostile à la France – un comble pour les deux nationalistes.

Malgré ces attaques et ces revirements, la situation ne semble pas pour l’instant être en mesure de changer les équilibres de la campagne présidentielle de manière directe. D’abord, parce que le poids des questions internationales dans la vie politique française ne doit pas être surestimé. Même si la guerre inquiète nos concitoyens, il est probable que les questions intérieures reprennent bientôt le dessus, notamment dès que le chef de l’État sera entré en campagne.

Par ailleurs, les sympathisants des candidats historiquement favorables à Poutine partagent souvent les inclinaisons de leur champion. Et même lorsque ce n’est pas le cas, la solidité de leur soutien à ces candidats ne les rend pas susceptibles de modifier leur vote pour un tel motif.

Tout au plus une telle crise pourrait-elle freiner la dynamique de campagne de ces trois candidats, à commencer par Jean-Luc Mélenchon, qui voit se liguer contre lui tous ses concurrents de gauche. Conscient du danger de s’aliéner l’électorat social-démocrate à cause de ses sympathies pour la Russie, le candidat insoumis a été contraint de changer sa position. En même temps, son soutien à l’intervention russe durant la guerre en Syrie en 2017 ne l’avait pas empêché de frôler la qualification au second tour. Reste donc à savoir si la situation actuelle donnera un résultat différent.

Cette invasion d’un état européen par la Russie, une première depuis la Seconde Guerre mondiale, sera lourde de conséquences à long terme

Dans ce contexte, la guerre en Ukraine est de nature à donner un avantage de court-terme au chef de l’État. En valorisant la position régalienne du président de la République dans cette crise gravissime, et en monopolisant l’attention de l’opinion, l’actualité internationale neutralise les attaques sur sa politique intérieure et pourrait se révéler favorable au président sortant. Elle révèle en outre la légèreté de ses principaux adversaires sur un enjeu majeur de sécurité nationale.

Mais plus généralement, elle pourrait également avoir une influence indirecte sur l’ambiance du scrutin, comme cela a été le cas dans l’histoire politique française.

Le cas de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979 est un premier exemple. Le président de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, avait été jugé trop mou dans sa dénonciation de l’impérialisme soviétique, et sa volonté de dialogue avec les Russes avait alors été jugée en décalage avec la gravité des événements, amoindrissant sa légitimité. Comparant Giscard à de Gaulle, Michel Jobert, un gaulliste de gauche qui devait rallier François Mitterrand quelques mois plus tard, lançait en octobre 1980 une lourde charge contre le chef de l’État : « Il y a des gens qui disent que le général de Gaulle et M. Giscard d’Estaing font la même politique. Pas du tout ! Ils parlent là d’un aigle et d’un pigeon : ce qu’ils ont en commun, c’est que ce sont des oiseaux qui volent. » Plus encore, les tensions internationales avaient alors aggravé le second choc pétrolier, avec des effets délétères sur l’économie française, en matière de chômage et d’inflation, alourdissant le « passif » du président sortant à l’orée de l’élection de 1981.

À l’inverse, le 11 septembre 2001, Jacques Chirac, premier chef d’État étranger à se rendre sur le site du Wall Trade Center détruit par les attentats, avait su tirer avantage de sa solidarité exprimée avec le peuple américain, puis de sa critique de la décision états-unienne d’envahir l’Afghanistan. Cet événement avait généré un climat d’incertitude économique et d’insécurité globale que le président, tout comme Jean-Marie Le Pen, avait ensuite su exploiter dans sa mise en avant de la question de l’insécurité durant la campagne présidentielle de 2002, au détriment de Lionel Jospin. On connait la suite de l’histoire.

Dans le cas de la crise ukrainienne, c’est essentiellement la durée et la capacité du conflit à s’étendre qui décideront si celui-ci est appelé à devenir un enjeu essentiel du débat électoral.

Ce qui est d’ores et déjà certain, c’est qu’au-delà de l’élection elle-même, cette invasion d’un état européen par la Russie, une première depuis la Seconde Guerre mondiale, sera lourde de conséquences à long terme et structurera durablement la politique étrangère de la France. À ce titre, les candidats à la fonction présidentielle ont tout intérêt à s’y préparer dès à présent.

Chaque vendredi à 18 h 40, retrouvez Vincent Martigny dans l'émission « Une semaine en France » présentée par Claire Servajean de 18 à 19 heures sur France Inter. En partenariat avec le 1.

 

26 février 2022
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