Quotidienne

Pap Ndiaye : les paradoxes d’une nomination

Vincent Martigny, politiste

Le nouveau ministre de l’Éducation reste la cible de nombreuses attaques deux semaines après sa nomination, qui révèle plusieurs paradoxes de notre vie politique française.

Pap Ndiaye : les paradoxes d’une nomination

Alors que le nouveau ministre de l’Éducation nationale accompagnait jeudi Emmanuel Macron dans sa première grande sortie à Marseille pour défendre le projet présidentiel de l’École du futur, sa nomination continue de faire parler d’elle. Deux semaines après que Pap Ndiaye a accédé à la rue de Grenelle, il demeure la cible d’attaques nombreuses, révélant au passage plusieurs paradoxes de notre vie politique française.

Le premier d’entre eux tient à la nature des critiques qui le visent depuis son arrivée au ministère. Pap Ndiaye serait selon ses détracteurs indigéniste, radical, islamo-gauchiste, anti-flic, anti-blancs, voire anti-républicain ! Pour qui connaît un peu le personnage, comme c’est le cas de l’auteur de ces lignes, cette liste d’invectives est cocasse. Car c’est peu dire qu’il est en réalité tout l’inverse de cette caricature : universaliste, modéré voire prudent, dépourvu de tout sectarisme, diplomate, érudit… Pap Ndiaye est l’incarnation parfaite de la méritocratie républicaine, à laquelle il a fait référence dès sa prise de fonction, rendant par ailleurs hommage à Samuel Paty lors de sa première sortie ministérielle. En d’autres termes, il est le portrait type de l’image que ses adversaires se font d’un bon ministre de l’Éducation nationale : premier paradoxe !

La convergence entre une partie de la droite et l’extrême droite dans le rejet de la différence culturelle est manifeste 

Deuxième paradoxe de cette nomination : tandis qu’on lui reproche de semer le doute sur la conception de la laïcité du président de la République alors qu’il remplace Jean-Michel Blanquer, connu pour ses positions très conservatrices sur ce sujet, le choix de M. Ndiaye clarifie surtout les positions des adversaires du chef de l’État. Elle a ainsi permis de faire sortir du bois tous ceux qui prétendent défendre la République, mais qui en réalité bafouent ses valeurs les plus fondatrices.

Après une campagne présidentielle ripolinée aux couleurs du pouvoir d’achat, le Rassemblement national, par la voix de Jordan Bardella, n’a pas tardé à sortir le bazooka contre un ministre qualifié de « militant communautariste et indigéniste », défendant une « idéologie anti-republicaine et anti-française ». Éric Zemmour le qualifie pour sa part d’« intellectuel indigéniste, wokiste, obsédé par la race », ce qui, venant de l’obsessionnel du grand remplacement, ne manque pas de piquant. 

Moins attendue mais pas si surprenante, une partie de la droite républicaine a repris des arguments similaires, Éric Ciotti dénonçant une nomination « terrifiante », tandis que l’euro-député François-Xavier Bellamy s’est pris à espérer que cette nomination ouvrirait les yeux des électeurs sur un ministre tenant selon lui du « décolonialisme ». Là encore, la convergence entre une partie de la droite et l’extrême droite dans le rejet de la différence culturelle et la critique systématique à l’encontre des minorités visibles est manifeste. Elle rejoint toutes les enquêtes menées en science politique sur ce phénomène d’unification des droites autour d’un nationalisme identitaire. Elle permet également de comprendre pourquoi une partie de la droite libérale, moins conservatrice sur les questions culturelles, a rejoint la majorité présidentielle, lassée de voir Les Républicains s’embourber depuis dix ans dans une ligne identitaire qui lui a plus coûté politiquement qu’elle ne lui a rapporté.

Pap Ndiaye peut-il être une exception et peser sur les sujets essentiels ?

Mais le paradoxe le plus troublant apparaît à la vue des images de Pap Ndiaye aux côtés du président l’écoutant en silence expliquer devant les caméras le retour des mathématiques en option dans le tronc commun en classe de première, un sujet sur lequel il aurait dû s’exprimer lui-même. Et si cette controverse autour de la personne du ministre passait à côté de l’essentiel ? Et si l’enjeu réel d’une telle nomination ne résidait pas finalement dans les marges de manœuvre existant pour un ministre, dans une pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron qui évince systématiquement le gouvernement ?

Le locataire de la rue de Grenelle, muet aux côtés du président, faisait songer jeudi à l’ancien ministre de la Culture Franck Riester en mai 2020, quand celui-ci s’était contenté de prendre des notes pendant que le président parlait à sa place de la Culture en temps de Covid 19. Brigitte Bourguignon, la nouvelle ministre de la Santé, n’a pas été plus loquace la semaine dernière lorsqu’elle accompagnait le président à Cherbourg.

Pap Ndiaye peut-il être une exception et peser sur les sujets essentiels de la rémunération des enseignants, de l’insuffisance de candidats aux fonctions de professeur, ou de Parcoursup ? Sans poids politique ni expérience des rouages du ministère, sans appui au sein de l’État autre que la confiance du Président, il apparaît bien démuni, même si sa bonne foi et son image positive dans le monde enseignant peuvent jouer en sa faveur. Mais la manière dont il a été cornaqué par des collaborateurs directement choisis par le chef de l’État – et dont la propre cheffe de cabinet d’Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’Économie – laisse craindre pour son autonomie décisionnelle. Ce qui est donc à craindre pour Pap Ndiaye, ce n’est pas de mener une politique néfaste pour le pays, comme l’en accusent ses détracteurs, mais bien de ne pas faire de politique du tout…

 

Chaque vendredi à 18 h 40, retrouvez Vincent Martigny dans l’émission « Une semaine en France » présentée par Claire Servajean de 18 à 19 heures sur France Inter. En partenariat avec le 1.

04 juin 2022
Retour

Nous vous proposons une alternative à l'acceptation des cookies (à l'exception de ceux indispensables au fonctionnement du site) afin de soutenir notre rédaction indépendante dans sa mission de vous informer chaque semaine.

Se connecter S’abonner Accepter et continuer