Quotidienne

Reparlementariser la Cinquième République ?

Vincent Martigny, politiste

Après le second tour des élections législatives, le Parlement aura-t-il davantage de poids au sein de la vie politique française ? Pas si simple, analyse Vincent Martigny.

Reparlementariser la Cinquième République ?

Si l’on en croit nombre de commentateurs, mais aussi les dirigeants de la Nupes eux-mêmes depuis quelques semaines, nous nous dirigerions, à l’aube du second tour des élections législatives, vers une reparlementarisation de notre système politique, et ce quels que soient les résultats à l’issue du scrutin de dimanche. Une telle évolution résulterait inéluctablement d’une victoire de la Nupes, mais aussi d’une majorité relative ou absolue de la coalition présidentielle d’Ensemble ! confrontée à un fort groupe d’opposition de gauche. Le temps du Parlement rabaissé serait donc révolu : finis les députés godillots, terminée l’archi-domination de l’exécutif ; place aux coalitions, aux joutes parlementaires, aux motions de censure…

Si cet espoir n’est pas totalement sans fondement, il est tout de même à prendre avec quelques pincettes. Certes, l’Assemblée va probablement connaître dimanche soir un afflux de nouveaux visages, principalement issu de la Nupes : des visages peut-être plus jeunes, plus féminisés, plus divers socialement, voire moins monocolores que dans la précédente législature.

Le gouvernement ne disposera pas d’un blanc-seing pour gouverner et devra compter sur une opposition plus forte et plus nombreuse

Il est également probable que les débats soient plus animés qu’auparavant entre les quatre forces politiques qui vont se partager les sièges du Palais Bourbon : Ensemble, la Nupes, les Républicains et le Rassemblement national. Pour la première fois depuis longtemps, ces quatre forces vont être en mesure de constituer des groupes parlementaires autonomes, puissants dans certains cas. Dans le cas du RN, la constitution d’un groupe parlementaire serait une première sous le régime majoritaire, alors que ce parti n’avait pu constituer un groupe en 1986 qu’au bénéfice du scrutin proportionnel…

Quoiqu’il arrive dimanche soir, le gouvernement ne disposera donc pas d’un blanc-seing pour gouverner et devra compter sur une opposition plus forte et plus nombreuse qu’auparavant. Si la victoire devait aller à la Nupes, il faudra compter sur un groupe Ensemble furibond, qui ne manquera pas de mener la vie dure au gouvernement accusé d’avoir empêché la logique qui veut que le président obtienne automatiquement une majorité après son élection. Dans le cas inverse, la détermination de l’union de la gauche sera immense pour freiner, voire bloquer les projets les plus clivants du chef de l’État et de sa majorité, à commencer par la réforme des retraites.

Jamais une élection législative n’aura autant été personnalisée 

Mais de là à espérer un retour vers une République parlementaire, c’est en revanche aller un peu vite en besogne, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord parce que le « culte de l’impersonnalité » dont parle le professeur de science politique du Collège de France Pierre Rosanvallon lorsqu’il évoque le pouvoir parlementaire sous la Troisième République, ne sera pas exactement la règle. Plus que jamais, les députés qui peupleront le Palais Bourbon seront sous la coupe de trois leaders forts : Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Il est peu probable que l’indépendance d’esprit et de vote des députés soit garantie, alors même que la verticalité est le point commun de ces trois personnalités politiques. C’est là le paradoxe le plus frappant de cette reparlementarisation éventuelle – jamais une élection législative n’aura autant été personnalisée.

Une autre difficulté à venir réside dans les pouvoirs dont disposera l’opposition dans la future Assemblée. Certes, celle-ci bénéficie de nouveaux droits depuis la réforme constitutionnelle de 2008 – notamment la présidence de la puissante commission des finances qui peut demander des comptes sur le budget de l’État, ou encore la possibilité d’obtenir des postes de vice-présidents de l’Assemblée ou à la questure.

La culture politique française sous la Cinquième République est peu compatible avec une vie parlementaire riche

Mais ces marges de manœuvre demeurent bien faibles face à la puissance de l’exécutif. L’Assemblée nationale, rappelons-le, partage la maîtrise de son ordre du jour avec le gouvernement. Mais elle n’a en revanche pas l’initiative des lois qu’elle vote, et l’exécutif peut la contraindre de mille manières à suivre sa volonté : grâce au célèbre article 49.3 bien entendu, mais aussi par le vote bloqué, la suspension des travaux ou encore la procédure accélérée, qui empêche le dépôt d’un nombre trop important d’amendements…

Dernier blocage, et pas des moindres : la culture politique française sous la Cinquième République est peu compatible avec une vie parlementaire riche et tournée vers la délibération. Celle-ci favorise en effet le vote moutonnier des députés, et n’est pas franchement propice à la recherche de consensus ou de coalitions de circonstances. Malgré le retour de débats nourris, tous ces éléments ne devraient pas fondamentalement changer, quel que soit le résultat de dimanche.

En résumé, nous sommes encore à mille lieues d’un Congrès américain qui a les moyens d’établir un véritable rapport de force avec le président étatsunien. De là à établir un lien entre la faiblesse structurelle du parlement sous la Cinquième République et la participation qui risque de demeurer bien faible dimanche prochain, il n’y a qu’un pas qu’il est assez facile de franchir…

 

Chaque vendredi à 18 h 40, retrouvez Vincent Martigny dans l'émission « Une semaine en France » présentée par Claire Servajean de 18 à 19 heures sur France Inter. En partenariat avec le 1.

18 juin 2022
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