Quotidienne

Le Rassemblement national est-il encore d’extrême droite ?

Vincent Martigny, politiste

L’arrivée des 89 députés RN au Palais-Bourbon soulève de nombreuses questions. Mais pour Vincent Martigny, malgré la banalisation des idées d’extrême droite, le parti des Le Pen n’a pas changé. 

Le Rassemblement national est-il encore d’extrême droite ?

Le RN est-il encore d’extrême droite ? À l’issue de cette semaine qui a vu l’élection de deux vice-présidents Rassemblement national à l’Assemblée au sein d’un groupe fort de 89 députés de cette tendance politique, la question se pose, surtout si l’on écoute les dirigeants de ce parti multiplier les déclarations refusant cette appellation pour leur parti.

Le porte-parole du RN Sébastien Chenu déclarait ainsi à la suite de son élection à la vice-présidence de l’Assemblée : « plus personne en France ne pense que Marine Le Pen est d’extrême droite. » Cette dernière vient de demander que les 89 députés de son parti ne siègent plus à l’extrême droite de l’hémicycle mais plutôt à gauche des Républicains. Une demande refusée par le Parlement, un député déclarant à l’AFP : « Il y a malgré tout quelque chose qui s’appelle la science politique et les politologues classent le RN à l’extrême droite. »

Jean-Marie Le Pen en son temps refusait déjà un tel label jugé politiquement infamant, préférant se qualifier de droite « nationale », voire de « vraie droite »

Avant de répondre à la question de savoir comment la science politique définit l’extrême droite, il faut rappeler que la stratégie visant à refuser cette étiquette n’est pas nouvelle ni propre à la France. Jean-Marie Le Pen en son temps refusait déjà un tel label jugé politiquement infamant, préférant se qualifier de droite « nationale », voire de « vraie droite ». Et partout en Europe, les partis de cette mouvance reprennent le même argument.

On comprend bien la stratégie qui se dissimule derrière une telle démarche : parachever la normalisation du RN en se débarrassant d’une appellation qui demeure politiquement handicapante, pour apparaître comme un parti « comme les autres ». L’émergence de Reconquête a largement contribué à réaliser cette ambition, puisqu’elle a permis de laisser le champ de l’outrance à Éric Zemmour, et de centriser un peu plus le discours de Marine Le Pen.

Venons-en maintenant à la manière dont la science politique a historiquement défini l’appartenance à l’extrême droite autour de trois grandes idées.

La première est le nationalisme radical, dont les deux grands motifs sont une défense sourcilleuse de la souveraineté nationale, mais aussi et surtout la dénonciation du danger de l’immigration sur la cohésion de la nation. Le RN a fait de ces enjeux le centre de son discours depuis un demi-siècle, et n’a jamais varié sur ces points, mêlant dénonciation de l’Union européenne et du péril migratoire.

La seconde est le conservatisme culturel, dont l’enjeu est de défendre les valeurs traditionnelles sur lesquels s’adossent les relations entre les hommes et les femmes, entre les jeunes et les personnes âgées, ou entre les hétérosexuels et les homosexuels par exemple. Il s’agit ici de défendre des normes historiques et d’empêcher tout ce qui peut contribuer à une évolution de ces dernières. Si Marine Le Pen paraît plus ambigüe sur ces questions, ses amis et ses électeurs ne le sont pas. Dans toutes les enquêtes scientifiques, comme le baromètre de la confiance du Cevipof, ils sont beaucoup plus conservateurs que les autres forces politiques, à l’exception des Républicains, avec qui ils partagent de nombreux points communs.

La troisième idée qui définit l’extrême droite est un discours autoritaire porté sur le culte du chef derrière lequel tout le monde se range, avec une conception très ferme de l’ordre public, quitte à s’asseoir sur les droits fondamentaux, au nom de la sécurité édictée comme « première des libertés ». Il n’y a qu’à observer l’organigramme du RN, dominé par les Le Pen, mais aussi son programme très porté sur la sécurité, pour se convaincre de son appartenance à cette famille de pensée.

La structure de ses idées, de son vocabulaire et sa conception du monde n’ont pas significativement changé

Au-delà des idées, dont certaines sont partagées par d’autres familles politiques comme Les Républicains, l’extrême droite, c’est aussi une rhétorique particulière : celle de la dénonciation des élites traditionnelles accusées d’avoir trahi le peuple, avec un vocabulaire qui fait la part belle aux termes de décadence, de pourriture du système et de complot. Dernier élément, les partis d’extrême droite sont des partis anti-système, c’est-à-dire qu’ils ne veulent pas seulement accéder au pouvoir, mais aussi et surtout transformer radicalement la société pour que celle-ci ressemble à leurs idées.

Alors d’évidence, pour la science politique, le RN n’est pas moins d’extrême droite qu’avant, puisque la structure de ses idées, de son vocabulaire et sa conception du monde n’ont pas significativement changé. En revanche, ce qui permet à cette formation politique d’entretenir une telle confusion, c’est qu’une partie des autres forces politiques et des médias ont repris ses idées, ainsi que son vocabulaire. Dans ce contexte, la normalisation institutionnelle du RN est aussi l’aboutissement d’un affaissement des frontières idéologiques entre les partis et le symbole d’une perte de repères politiques.

On peut considérer comme normal qu’un parti qui rassemble près d’un tiers des électeurs prenne toute sa place dans la représentation parlementaire. Mais cette place doit alors être bien définie, et dans le cas du RN, elle est clairement à l’extrême droite du champ politique.

02 juillet 2022
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