Quotidienne

Avis de tempête sur la vie politique française

Vincent Martigny, politiste

Malgré le tumulte politique à venir entre l’Assemblée nationale et le gouvernement désormais minoritaire, le politiste Vincent Martigny en appelle à l’optimisme quant aux changements que ces résultats électoraux doivent augurer.

Avis de tempête sur la vie politique française

À l’issue de la double séquence électorale des élections présidentielles et législatives, notre vie politique semble plus « gazeuse » que jamais. Les élections n’auront jamais réussi à trancher les différends dans un pays divisé, ni à réconcilier les Français entre eux, même si une telle ambition n’est probablement pas, par nature, du ressort de la politique. Il se dégage de notre vie publique un sentiment de crise structurelle marquée par des maux assez graves, même s’il demeure des raisons d’espérer…

Notre vie politique souffre aujourd’hui d’au moins deux maladies distinctes.

La première, c’est la confusion des idées et des enjeux, qui empêche une grande partie de nos concitoyens de se positionner sur l’échiquier politique. Jusqu’en 2017, trois grands pôles se partageaient la vie politique : la gauche, la droite et l’extrême droite. Tout cela est devenu beaucoup plus compliqué. Les vieux partis sont moribonds à gauche comme à droite et les jeunes mouvements comme LREM ou LFI ont de la peine à se structurer. 

Le début de mandat d'Emmanuel Macron démontre une indétermination et un attentisme qu’on ne lui connaissait pas

La majorité présidentielle, sous le coup de la nouvelle situation d’un Parlement divisé, semble naviguer à vue. Emmanuel Macron appelait jeudi ses troupes à être en campagne permanente, comme pour faire oublier que sa volonté d’enjamber le clivage gauche-droite a depuis longtemps cédé la place à l’émergence d’un nouveau parti de centre droit, en remplacement des Républicains. Pire, elle est parfois tentée par un relativisme politique délétère, lorsque certains députés macronistes soutiennent l’élection de députés RN à la vice-présidence de l’Assemblée, ou lorsqu’elle pose une équivalence entre l’extrême droite et « l’extrême gauche » censée être incarnée par le LFI, un parallèle qui ne lui fait pas honneur. 

La gauche a dépassé sa division historique et se présente sous un front relativement uni avec la Nupes, mais la situation semble temporaire, puisque cette alliance s’effectue sous la houlette d’un parti controversé, LFI, tenté par la surenchère permanente et le débordement du Parlement par la rue. Le RN enfin, en pleine institutionnalisation depuis son score impressionnant des dernières élections, brouille plus que jamais les cartes, impose ses thématiques aux médias, et occupe le terrain. Reste à savoir si cette stratégie portera ses fruits à long terme, ou si le fait de rentrer dans le rang républicain lui fera perdre le soutien des citoyens qui votent pour ce parti par colère contre le système.

Les Français semblent satisfaits d’avoir secoué le cocotier d’un système politique sclérosé

Au-delà de la question des divisions partisanes, l’ambiance politique est marquée par une défiance généralisée de nos concitoyens envers la politique, jugée incapable de tenir ses promesses, notamment pour les classes populaires et la jeunesse. La cible principale en est le chef de l’État, réélu mais plus seul que jamais, dont le début de mandat démontre une indétermination et un attentisme qu’on ne lui connaissait pas, et pour qui le capitole n’a jamais semblé aussi proche de la roche tarpéienne. Ce sentiment génère une ligne de partage de plus en plus évidente entre ceux qui continuent de croire à la démocratie représentative, et ceux qui ont démissionné. Il dissimule la crise de nos institutions, dont la légitimité n’est plus assurée par la participation politique. Le chef de l’État sera-t-il en mesure de les transformer pour les sauver ? Rien n’est moins sûr.

Malgré ces difficultés structurelles, il existe pourtant plusieurs raisons d’être raisonnablement optimiste.

D’abord parce que les Français semblent satisfaits d’avoir secoué le cocotier d’un système politique sclérosé, comme en témoigne la composition de la nouvelle Assemblée, plus pluraliste que jamais en système majoritaire. Le président voit son pouvoir limité, et ce alors même que sa pratique jupitérienne de la fonction présidentielle est la dimension qui lui a été le plus reprochée lors de la dernière élection. Reste à savoir maintenant comment le Parlement va parvenir à s’organiser dans un système présidentiel où il n’exerce pas traditionnellement le pouvoir.

En politique comme dans la vie, le pire n’est jamais certain

Et puis on peut aussi se réjouir que le gouvernement soit dirigé par une femme pour la première fois depuis Édith Cresson en 1991. Si Élisabeth Borne a commencé à gouverner sous les habituels soupçons d’illégitimité, au moins ne subit-elle pas pour l’instant les affronts sexistes que sa prédécesseure a dû endurer en son temps. Elle pourra compter sur le soutien dans ce domaine de près de 40 % de femmes dans la nouvelle Assemblée, une tendance devenue structurelle. 

Enfin, si la jeunesse ne s’intéresse plus au jeu partisan, elle n'en est pas moins politisée, engagée sur les questions de changement climatique, d’égalité hommes-femmes, d’inclusion, et ce, quels que soient ses orientations politiques et, jusqu’à un certain point, son milieu social.

Finalement, notre vie politique ressemble peut-être plus que jamais au pays : divisé, instable et incertain de la direction à prendre. Mais le retour du contrepouvoir parlementaire, la résurgence des mouvements sociaux, l’appel à une démocratie plus juste et plus soucieuse du climat montrent qu’en politique comme dans la vie, le pire n’est jamais certain.

 

Illustration JOCHEN GERNER

 

Toutes les chroniques de Vincent Martigny, sur notre vie politique durant les élections présidentielles et législatives 2022, sont à retrouver sur notre site et application et en podcast sur le site France Inter.

Cette chronique a été présentée dans l'émission « Une semaine en France » de Claire Servajean, sur France Inter, en partenariat avec le 1.

09 juillet 2022
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