Quotidienne

La France est-elle devenue ingouvernable ?

Vincent Martigny, politiste

Au lendemain des élections législatives, le politiste Vincent Martigny se demande si la France est réellement en passe de devenir ingouvernable.

La France est-elle devenue ingouvernable ?

Depuis dimanche dernier, le temps politique semble s’être arrêté. La surprise provoquée par la situation d’un Parlement sans majorité absolue a cédé la place à la crainte de voir la stabilité habituelle du gouvernement en régime majoritaire substituée par un blocage de l’Assemblée par les oppositions. L’allocution d’Emmanuel Macron du 22 juin est venue confirmer cette inquiétude d’une France figée dans ses antagonismes. En renvoyant la balle dans le camp de ses opposants, le chef de l’État a donné du crédit à l’hypothèse d’une absence d’alternative à leur fin de non-recevoir de sa volonté de trouver des majorités d’idées selon les réformes proposés, et donc d’une impasse politique. D’où cette question lancinante posée par les journalistes et les experts de tous poils : la France est-elle en passe de devenir ingouvernable ?

Les politiques publiques ne se fabriquent en France que marginalement au Parlement

À cette question, au moins trois niveaux de réponses s’imposent. On débutera par un argument d’évidence : les politiques publiques ne se fabriquent en France que marginalement au Parlement. Dans un régime semi-présidentiel, le pouvoir exécutif dispose d’une palette d’instruments qui lui permettent de faire fonctionner le pays, et le gouvernement n’a pas toujours besoin de répondre de ses actions devant le pouvoir législatif, du moins pour gérer les affaires courantes. Contrairement à un régime parlementaire dans lequel l’absence d’un Premier ministre empêche la formation même du gouvernement, ce dernier est nommé en France par le président, et ce de manière indépendante de l’Assemblée.

En ultime recours, le président pourrait enfin user de son pouvoir de référendum

La Première ministre Élisabeth Borne n’a ainsi pas d’obligation de se soumettre à un vote de confiance à l’issue de son discours de politique générale pour commencer à travailler. Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy, à la tête de gouvernements minoritaires entre 1988 et 1993, ne s’étaient d’ailleurs soumis ni à une déclaration de politique générale, ni à un vote de confiance, et ce sans être inquiétés. En outre, la plupart des décisions ayant un impact sur le quotidien des Français sont en réalité prises au niveau local au sein des exécutifs municipaux, départementaux ou régionaux, qui ne sont en rien concernés par la situation nationale. En ultime recours, le président pourrait enfin user de son pouvoir de référendum, s’il considère qu’une réforme d’importance mérite d’être présentée aux Français – une arme certes dangereuse, les Français ayant tendance à y voir une occasion de sanctionner le gouvernement.

Deuxième niveau de lecture, plus conjoncturel : la France n’est pas (encore) bloquée. À ce stade, tous les groupes de l’Assemblée nationale – Rassemblement national inclus – ont formulé leur souhait de participer de manière constructive à la vie parlementaire. Rien n’indique que les projets les plus consensuels, comme le vote d’une loi pour améliorer le pouvoir d’achat des Français ou pour augmenter les salaires, ne fassent pas l’objet d’un soutien plus large que le seul groupe présidentiel. Quel que soit leur niveau d’hostilité au président, le RN ou la Nupes auront des difficultés à justifier politiquement un refus de voter des projets qui iraient dans le sens des intérêts de leur électeurs.

La difficulté, on le voit, n’est donc pas réellement de nature institutionnelle mais strictement politique

À cela s’ajoute les faibles pouvoirs de l’opposition parlementaire. Hormis Les Républicains, qui disposent par ailleurs de la majorité au Sénat, ce qui renforce leur pouvoir de nuisance – ou de soutien – vis-à-vis du gouvernement, les oppositions de la Nupes et du RN n’ont pas de marges de manœuvre importantes pour contraindre le pouvoir exécutif. Certes, l’union de la gauche sera plus tonitruante et efficace avec plus de 140 députés unis qu’avec 70 dans la précédente législature, de même que les 89 députés RN, dix fois plus nombreux qu’en 2017. Mais en l’absence de coalition des oppositions avec LR, ce qui semble difficile à imaginer, aucune motion de censure n’est envisageable pour faire chuter le gouvernement.

Le problème d’Emmanuel Macron tient au peu de considération qu’il a accordé aux contrepouvoirs depuis cinq ans

La difficulté, on le voit, n’est donc pas réellement de nature institutionnelle mais strictement politique. La question de la gouvernance dans un Parlement divisé interroge la capacité du pouvoir exécutif à permettre le dépassement des différences idéologiques, ce qui suppose avant tout le respect de l’opposition. Or le problème d’Emmanuel Macron tient au peu de considération qu’il a accordé aux contrepouvoirs depuis cinq ans, à commencer par les parlementaires. Comment ceux-ci pourraient-ils dès lors accepter la main tendue de celui qui les a méprisés ouvertement depuis son élection en 2017 ? Il est probable qu’à court terme une alliance qui ne dit pas son nom avec LR soit une possibilité pour Ensemble ! d’obtenir des résultats et de faire passer certaines lois emblématiques. Mais on a du mal à voir comment le chef de l’État pourra parvenir, à long terme, à mettre en œuvre les réformes qu’il souhaite porter en l’absence d’un capital politique amoindri par ce qui ressemble depuis quelques semaines à une fuite en avant de sa part. Sans ligne politique directrice ni majorité absolue, il pourrait se retrouver dans les temps qui viennent dans la main de ceux qu’il pensait diriger – ses alliés du MoDem, d’Horizons, et son opposition LR, et donc plus seul que jamais. La question n’est pas de savoir si la France serait devenue ingouvernable, mais si le président est encore en mesure de la gouverner.

25 juin 2022
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