Quotidienne

Où en est la confiance en politique ?

Vincent Martigny, politiste

Les résultats de l'enquête annuelle du Baromètre de la confiance du Cevipof, qui nous informe sur le degré de confiance des Français dans la politique, dans les institutions, mais aussi dans leur rapport aux autres, ne sont pas reluisants. 

Où en est la confiance en politique ?

Comment se porte la confiance politique dans notre pays ?

C’est la question rituelle à laquelle tente de répondre l’enquête annuelle du Baromètre de la confiance du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po, dont les résultats ont été publiés la semaine dernière. Et ceux-ci ne sont pas bons, si l’on en croit cette étude scientifique menée auprès de 10 000 personnes dans toute la France, qui nous informe sur le degré de confiance des Français dans la politique, dans les institutions, mais aussi dans leur rapport aux autres.

Premier signe d’alarme, le regard sur la politique demeure négatif pour plus de 70 % des interrogés, qui expriment avant tout vis-à-vis d’elle de la lassitude (40 %), de la morosité (25 %) ou de la méfiance (37 %), un sentiment qui progresse fortement de 14 points par rapport à l’année dernière. Plus marquant encore, 77 % des Français affirment que les hommes politiques ne se préoccupent pas d’eux. Ils sont pour les deux tiers convaincus que le personnel politique est corrompu : ils lui reprochent massivement de faire passer ses intérêts propres avant l’intérêt général, et de parler à tort et à travers au lieu d’agir… Il faut certes nuancer ces résultats, puisque les élus locaux font l’objet d’une approbation plus grande que leurs homologues nationaux. Pour autant, la confiance demeure en France nettement en dessous de nos voisins européens.

Et ce tableau s’assombrit encore si l’on observe les attitudes vis-à-vis de l’ouverture aux autres et notamment des étrangers. Le raidissement sur les questions d’immigration et sur l’Islam est notamment très marqué.

Deux tiers des interrogés affirment ainsi qu’il y a trop d’immigrés en France – c’est 14 points de plus qu’à la fin des années 2000, 61 % que l’islam est une menace pour la République, et seulement un Français sur deux pense que l’immigration est une source d’enrichissement culturel…

Cette attitude de repli s’inscrit dans le cadre d’une perte de repères généralisée : pour les trois quarts de nos concitoyens, « la France a perdu sa boussole morale », 68 % prétendent que notre pays a besoin d’une « bonne dose d’ordre et d’autorité », voire, pour un gros tiers d’entre eux – 39 % – qu’il vaudrait mieux avoir un homme fort à la tête du pays, qui n’aurait pas à se préoccuper du parlement ni des électeurs.

Les changements profonds qui travaillent la société française sont de nature à inquiéter une partie croissante de l’opinion qui préfère regarder dans le rétroviseur de l’histoire de France

Quelles conclusions tirer de cet inquiétant panorama ?

La première est que les changements profonds qui travaillent la société française (autour des questions de genre, de pluriculturalisme, de rapport à la mondialisation…) sont de nature à inquiéter une partie croissante de l’opinion qui préfère regarder dans le rétroviseur de l’histoire de France et se réfugier dans le mythe de l’homme fort plutôt que d’affronter des réalités qui la dérangent. En votant pour des candidats d’extrême droite, elle manifeste un mouvement de « backlash culturel » ou « réaction culturelle » (1) dont les conséquences en termes de vote seront non négligeables lors du scrutin présidentiel.

À ce titre, n’en déplaise aux thuriféraires du « nouveau monde », le clivage gauche-droite n’est pas mort, mais fonctionne au contraire à plein sur ces enjeux. Les électeurs de gauche et de la République en marche sont ainsi beaucoup moins nombreux que ceux de droite et d’extrême droite à partager des attitudes de fermeture culturelle.

Dans le camp conservateur, on assiste par ailleurs à une bascule chez les électeurs de la droite traditionnelle : les sympathisants LR sont presque parfaitement alignés sur l’extrême droite sur la plupart de ces questions. Ainsi, les électeurs de Valérie Pécresse sont seulement 38 % à penser que l’immigration est une richesse la France, un score plus faible que la moyenne des Français, et plus proche des électeurs de Marine Le Pen (25 %) que d’Emmanuel Macron (64 %) ou Yannick Jadot (78 %). Sur la demande d’autorité (84 %), voire sur le sentiment qu’on est « allés trop loin » dans la défense des minorités visibles (36 %) ou des LGBT (38 %), les proches de la candidate LR sont non seulement plus fermés que la moyenne des Français (respectivement 68 %, 26 % et 29 %), mais aussi que les électeurs de Marine Le Pen (80 %, 33 %, 35 %) !

Pour tempérer ce constat d’un repli global des Français, on observe par ailleurs des signes d’ouverture : une large majorité soutient la promotion du droit des femmes, des minorités visibles et des LGBT, et considère que la procréation médicalement assistée est une bonne chose…

Ce qui peut sembler plus surprenant, et que soulève également cette étude, c’est le consensus qui rassemble l’immense majorité de nos concitoyens autour de la confiance dans les services publics

Cette ambivalence entre repli et ouverture est à l’œuvre depuis longtemps dans la société française, même si elle a tendance à s’accentuer. Deux chercheurs du Cevipof, Étienne Schweisgut et Gérard Grunberg, évoquaient dès 2007 un double mouvement qu’ils nommaient « liberté privée/ordre public » pour qualifier l’opinion : une tolérance croissante pour les modes de vie individuels associé à une forte demande d’autorité sur les questions régaliennes et l’immigration. Quinze ans plus tard, ce constat semble n’avoir pas pris une ride.

Ce qui peut sembler plus surprenant, et que soulève également cette étude, c’est le consensus qui rassemble l’immense majorité de nos concitoyens autour de la confiance dans les services publics. Les interrogés plébiscitent à une écrasante majorité les hôpitaux (82 %), la sécurité sociale (74 %), l’école (74 %), et même l’armée (74 %) ou la police (72 %)... S’ils sont plus que jamais critiques vis-à-vis du personnel politique, la démocratie trouve encore grâce à leurs yeux – 69 % pensent qu’elle est le meilleur des régimes, tout comme les mécanismes de la solidarité sociale.

Un avertissement pour les candidat(e)s à l’élection présidentielle qui attaquent la première, ou proposent de démanteler les seconds : ils pourraient se heurter rapidement au mur de la défiance citoyenne.

(1) Le « backlash culturel » est « une réaction aux transformations des systèmes de valeurs », écrit le politiste Gilles Ivaldi, reprenant une expression théorisée par Pippa Norris et Ronald Inglehart. Il ajoute : « la vague actuelle de populisme de droite relèverait d’une crispation culturelle au sein de certains segments de la société, confrontés à l’érosion des normes et hiérarchies sociales traditionnelles ». 

Chaque vendredi à 18 h 40, retrouvez Vincent Martigny dans l'émission "Une semaine en France" présentée par Claire Servajean de 18 à 19 heures sur France Inter. En partenariat avec le 1.

12 février 2022
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