Biden face aux critiques démocrates #22
Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Deux diplomates ont commencé à faire signer un mémorandum parmi le personnel du département d’État américain pour dénoncer la position adoptée par Joe Biden sur la guerre à Gaza. Selon le site d’information en ligne Politico, ce document exprime une certaine colère et une « baisse de confiance croissante parmi les diplomates américains envers l’approche du président ». Cette défiance porte sur le soutien sans critique apporté par la Maison-Blanche aux actes commis par les forces israéliennes à Gaza. Cette attitude, écrivent-ils, « alimente dans la région le sentiment que les États-Unis jouent un jeu biaisé et malhonnête, qui au mieux ne fait pas avancer les intérêts américains dans le monde, au pire leur fait du tort ».
Selon les pétitionnaires, leur ministère devrait « critiquer publiquement les violations israéliennes du droit international » perpétrées à Gaza et « faire savoir que cela va à l’encontre des valeurs américaines, ce, afin qu’Israël cesse d’agir dans l’impunité ». Le mémorandum juge qu’Israël « a le droit légitime et même l’obligation de se faire justice » après les crimes commis par le Hamas, mais que « le nombre des vies humaines perdues » par les Palestiniens à Gaza est « inacceptable ». Ce « mémo », qui reproche à Joe Biden de ne pas avoir appelé à ce jour à un cessez-le-feu à Gaza, mais seulement à une « pause humanitaire », a été qualifié par le département d’État de « sensible mais non classifié ». Le secrétaire d’État, Antony Blinken, a participé à diverses réunions avec les diplomates pour faire baisser la tension dans son ministère.
Le 8 novembre, plus de cent élus démocrates, sénateurs comme représentants (députés), ont signé une pétition exhortant le président américain à protéger les Palestiniens vivant dans le pays.
La crise ne couve pas uniquement parmi les diplomates. Le 8 novembre, plus de cent élus démocrates, sénateurs comme représentants (députés), ont signé une pétition exhortant le président américain à protéger les Palestiniens vivant dans le pays. « À la lumière du conflit en cours, les Palestiniens qui se trouvent déjà aux États-Unis ne devraient pas être contraints de retourner dans les territoires palestiniens », lorsque leur droit de résidence vient à expiration, écrivent-ils. Cet appel s’inscrit dans une montée du rejet, dans l’opinion publique américaine et plus particulièrement dans sa partie démocrate, de la tragédie imposée aujourd’hui collectivement par Israël aux Gazaouis.
Joe Biden, pendant ce temps, semble rester insensible à ces critiques et à ces requêtes. Pour combien de temps ? D’un côté, la Maison-Blanche soutient effectivement l’ambition israélienne d’« éradiquer » le Hamas à Gaza, ou à tout le moins de l’affaiblir le plus possible, ce qui constituerait une défaite importante non seulement pour le parti nationaliste religieux palestinien, mais surtout pour l’Iran, son important allié. D’un autre côté, il sait aussi que la pétition des diplomates n’est pas dénuée de bon sens : l’alliance américano-saoudo-israélienne signée deux semaines seulement avant les massacres du 7 octobre apparaît déjà dénuée de tout avenir, du moins dans l’immédiat. Les pays arabes parmi les plus favorables à un rapprochement avec Israël, comme l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, qui rêvaient de pouvoir « oublier » la Palestine, sont revenus aux positions anciennes : pas d’accord avec Israël tant que la « question palestinienne » n’est pas réglée. Or Biden comme son entourage connaissent le peu d’appétence des dirigeants israéliens à s’engager sincèrement dans un nouveau « processus de paix », quel qu’il soit.
Biden n’entend pas voir rabaisser l’influence américaine beaucoup plus encore qu’elle ne l’est déjà dans l’espace arabo-musulman.
Biden veut une « pause » des combats à Gaza, Benjamin Netanyahou veut des « petites pauses tactiques, une heure par-ci, une heure par-là », a-t-il dit à la chaîne américaine ABC. Joe Biden veut une guerre courte à Gaza. « Bibi » Netanyahou veut la guerre la plus longue possible. Il veut aussi, dans l’après-guerre, « une responsabilité israélienne totale sur la sécurité à Gaza pour une période indéfinie », quand Biden s’oppose à toute « réoccupation » de ce territoire palestinien. De plus, Biden n’entend pas voir rabaisser l’influence américaine beaucoup plus encore qu’elle ne l’est déjà dans l’espace arabo-musulman. Netanyahou n’a pas cette préoccupation. Enfin, si « Bibi » peut espérer que cette guerre, s’il parvient par miracle à en sortir en Israël comme le véritable vainqueur, lui permette de se défaire des menaces judiciaires qui planent sur lui, Joe Biden, qui souhaite assurer sa réélection dans un an, sait lire les sondages : depuis le 7 octobre, il a perdu 11 points en un mois dans l’opinion démocrate.