Quotidienne

Le « moment » colons #15

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Le « moment » colons #15
Illustration Stéphane Trapier

Dès le lendemain des attaques meurtrières du Hamas dans les bourgs et les villages israéliens entourant Gaza, la mouvance « sioniste religieuse » des colons de Cisjordanie – 14 députés sur 120 à la Knesset, et beaucoup d’alliés dans d’autres partis – est passée à l’acte. Le moment était venu de terroriser les Palestiniens non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Du 7 au 29 octobre, l’armée et les colons les plus fanatiques y ont abattu 115 Palestiniens et fait plusieurs centaines de blessés en Cisjordanie. Surtout, ces colons armés cherchent à imposer la terreur dans les localités palestiniennes. « Les colons radicaux sont déterminés à transformer le difficile conflit (entre Israéliens et Palestiniens) en une véritable guerre de Gog et Magog. Pas un jour ne passe sans qu’ils s’engagent dans des attaques violentes contre les Palestiniens », écrit le quotidien Haaretz le 30 octobre.

Dans les collines au sud d’Hébron, les colons ont « carte blanche pour commettre des meurtres, des incendies, des démolitions, des empoisonnements [de puits]. »

Tariq habite Oum Al-Khair, un village à une lieue de Soussia, à 30 kilomètres au sud de la ville d’Hébron. Il est aussi membre de l’association palestino-israélienne The Villages Group (https://villagesgroup.worldpress.com). Dimanche, il a envoyé une alerte, comme une bouteille à la mer. Des colons, en uniforme et armés, « ont lancé un assaut barbare » sur Soussia, en formulant « un ultimatum menaçant : si les villageois ne quittaient pas les lieux dans les 24 heures, ils reviendraient et commettraient des meurtres ». Le lendemain, les colons attaquaient de manière similaire Oum Al-Khair, son village, suscitant « un vent de terreur et de panique, surtout chez les femmes et les enfants ». Dans les collines au sud d’Hébron, poursuit Tariq, les colons ont « carte blanche pour commettre des meurtres, des incendies, des démolitions, des empoisonnements [de puits]. Les habitants de dix villages ont déjà été contraints d’abandonner leurs terres » pour se réfugier ailleurs. Et d’évoquer, évidemment, la Nakba, la « catastrophe » de 1947-1949 qui vit 87 % des Palestiniens être expulsés du territoire qui devint Israël. Au 29 octobre, le Centre palestinien d’information avait compté en trois semaines 1 089 incidents confrontant l’armée ou les groupes de colons à des Palestiniens de tous âges à travers toute la Cisjordanie, et particulièrement dans les camps de réfugiés.

Que veulent ces colons ? « L’impression qu’ils donnent, poursuit l’article de Haaretz précité, est que certains d’entre eux souhaitent provoquer une nouvelle guerre d’Indépendance de 1948, dans laquelle les Arabes seront de nouveau expulsés de chez eux. » Le 21 octobre, Louis Imbert, le correspondant du Monde, citait Ariel Kellner, député du Likoud, le parti de Netanyahou : « Nakba contre l’ennemi maintenant. Une Nakba qui éclipsera la Nakba de 1948. » Telle est indubitablement l’aspiration la plus profonde d’une majorité des Juifs israéliens : profiter de l’opportunité pour se débarrasser définitivement de tous les Palestiniens. Jusqu’ici, cette option paraissait inaccessible. La frange extrémiste de cette opinion voit dans la situation présente une occasion exceptionnelle. Et si une nouvelle expulsion massive s’avère trop compliquée, au moins faut-il accélérer le regroupement des villageois palestiniens autour des villes pour accaparer leurs terres.

La mouvance coloniale de l’opinion s’est immensément renforcée. Sa fraction la plus radicale dispose désormais de ministres importants, de nombreux députés, de médias puissants

Qui sont ces colons ? En juin 1967, lorsqu’Israël remporta la guerre des Six Jours et conquit la totalité de la Palestine telle qu’elle était sous le mandat britannique, ils étaient une frange totalement marginale de la population. Après cinquante-six ans d’occupation et de colonisation incessante de ces territoires palestiniens, l’opinion israélienne a totalement changé. 80 % des Juifs israéliens n’ont jamais connu d’autre Israël que celui occupant les territoires palestiniens. Pour la plupart, cette occupation est devenue la normalité. Parallèlement, la mouvance coloniale de l’opinion s’est immensément renforcée. Sa fraction la plus radicale dispose désormais de ministres importants, de nombreux députés, de médias puissants, d’officiers supérieurs, d’écoles militaires rabbiniques où les recrues, formées au maniement des armes, reçoivent une éducation « suprémaciste juive » – comme la nomment leurs adversaires en Israël – dans laquelle une lecture hyper nationaliste et mystique de la Bible légitime les pires crimes envers les Palestiniens.

Désormais, cette frange dispose aussi d’une milice armée agissante à laquelle l’armée n’ose pas toucher. Pourquoi cette frange hésiterait-elle à imposer son agenda ?

 

Pour en savoir plus, lire : Charles Enderlin, Au nom du Temple : Israël et l’arrivée au pouvoir des juifs messianiques, édition augmentée, Seuil, « Points », septembre 2023.

30 octobre 2023
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